Catherine Weinzaepflen : La sœur de mon frère

 
par Philippe Di Meo

Récit d’un genre impur, mais à forte tonalité diaristique, La sœur de mon frère entrelace1 les fils des vies d’un petit groupe d’amis, parents et apparentés appartenant sans équivoque à ce qu’il est convenu de désigner comme les « milieux intellectuels et artistiques ».

Cette large fratrie de fait est en quête d’un quelque chose d’à la fois banal et essentiel : un équilibre. Autrement dit, une forme d’apaisante plénitude.

Ce petit groupe ne vit cependant pas recroquevillé sur lui-même, il s’inscrit dans une époque non moins troublée, et troublante, que celle de leurs affects contrastés. De fait, Catherine Weinzaepflen entrelace subtilement deux écheveaux, le public et le privé, et si parfaitement qu’il est impossible d’isoler l’un de l’autre. C’est au reste ce qui donne sa force à une narration tout à la fois circulaire et linéaire, « court-circuit entre le deuil et la rencontre » dans les termes de l’auteur.

Deux bandes son, donc. En miroir. Ou plutôt en interférences continuelles. Parasitages et rehauts. De sorte que le privé renvoie immanquablement au social et le social au privé, en boucle parfaite.

Les événements de Palestine, d’Afghanistan ou le ténébreux assassinat d’un juge français, lié aux personnages de l’intrigue, rythment la succession des jours. Loin de toute eschatologie est-il besoin de le souligner.

La sécheresse descriptive ne saurait rendre compte ni de la richesse du langage mis en œuvre ni de sa séduction. Des mots et des onomatopées de tous les jours s’acoquinent localement avec du verlan, des expressions anglaises fortement idiomatiques, tel ce shell shoked, par exemple, pour n’en pas citer de plus exotiques (empruntés au dari ou au pachto). Et l’oralité ou les mots-valises ne sont pas rares.

La narratrice sait aller résolument à contre-courant des modes du jour. Est ainsi entreprise, en passant, une dénonciation de certaine architecture moderne stéréotypée en forme de bombe à raser mais également des manifestations artistiques « sous contrôle étatique » inévitablement dévitalisées d’entrée.

L’Unheimlich, cette « étrangeté » signalée par E.T.A. Hoffmann et réinterprétée par Sigmund Freud devient un horizon parmi d’autres dans le vaste espace de la perte des repères ouvert par certaine modernité non moins déroutante que toute tradition.




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couverture

1. Rappelant à cet égard, la poétique de l’éblouissant Avec Ingeborg, consacré à Ingeborg Bachmann, Éditions des femmes, 2016.