Pierre Guyotat : Par la main dans les enfers / Humains par hasard

 
par Mathilde Azzopardi

Après Coma, Formation et Arrière-fond, triptyque autobiographique dicté en langue normative, Joyeux animaux de la misère, paru en 2014, renouait avec l’écriture « en langue aisée ». Par la main dans les enfers en constitue le tome II, reprenant le fil provisoirement interrompu d’une phrase déroulée sur plus de 800 pages au total, un relai de voix ponctué de brèves didascalies qui, à elles seules, posent la scénographie de l’ensemble. La langue au « présent perpétuel », énoncée par les figures de ce théâtre les constitue en propre, car les figures disent ce qu’elles font et font ce qu’elles disent, disent en faisant, font en disant. Cet « équivalent écrit de l’oral »1, fabriqué à partir d’éléments de différents registres et origines, d’une syntaxe heurtée, augmentée, de néologismes ou mots tronqués, se trouve renforcée par une ponctuation extraordinaire, répétitive et redondante, qui, tout autant qu’elle rythme presque musicalement le texte, lui confère un caractère visuel particulier – « le dessin de la langue », dit Guyotat. Les figures usent tantôt d’un « je », tantôt du « nous », s’adressent à « tu » – comme à nous, lecteur, conduit par la main dans ces enfers, face à Rosario de « retour de saillir sa mère », au père castré par le chasseur de rats, à travers une épopée intensément brillante comme peut l’être ce qui, précisément, surgit de la plus vile pourriture : « … demeuré putain, me lever de l’ordure, mowey renfilé, talons rechaussés, courir m’adosser, verbe en ordre en cervelle, à notre façade ardente ? … »

Dans Humains par hasard, passionnants entretiens publiés conjointement, Pierre Guyotat revient sur le choix du « prostitutionnel comme cosmologie »2. Mais plus que dans Explications qui accompagna la parution de Progénitures, bien au-delà du commentaire de texte, il y défend une vision du monde – celle de l’enfant, « intelligence analogique des choses » incluant l’animal, « notre identité préhistorique ». Approche, antihumaniste, radicalement politique : désir d’« intégrer tout le monde », « désir communautaire », qui est aussi « désir de fusion et désir de verbe. (…) désir de poésie ».




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Par la main dans les enfers
Joyeux animaux de la misère II
Gallimard
432 p., 24,00 €
couverture
Humains par hasard
Entretiens avec Donatien Grau
Gallimard
« Arcades »
256 p., 21,00 €
couverture

1. Michel Zink, « Pierre Guyotat et l’aura de l’oral », dans Critique n° 824-825 (2016/1) : « Pierre Guyotat », p. 186.

2. Alain Badiou, « Pierre Guyotat, prince de la prose », op. cit., p. 54.