Pascal Leclercq : Épuisé

 
par Christian Travaux

Pascal Leclecq. Épuisé. Comme un livre introuvable, une rareté de bibliothèque. Indécouvrable. Ou comme l’épuisement de l’être, une fatigue, un excès de vivre, qui fait chaque jour plus de peine à survivre, chaque jour plus lourd. Pascal Leclercq est tout cela dans ce livre fait de quatre livres et d’inédits. Quatre livres, déjà parus, et justement épuisés. À La Dragonne, L’Arbre à paroles, entre 2000 et 2010. Et des textes de 2016, « Flandres intimes »,
non publiés.

Dans cet ensemble, se lit un style, un parcours, une avancée. En prose et vers. Très souvent, prose. De petits blocs compacts de prose, sans passage de ligne, sans guère – souvent – de signes de ponctuation à la fin ou de majuscule. Une écriture qui se hâte, qui se contracte, qui se rétracte, qui se serre sur elle-même, se tasse, se ferme. Ou essaie de ne pas sombrer. Et cherche, dans cette compacité, à tenir tête coûte que coûte. À tenir. À résister. Mais à quoi donc ? À tout ce qui vient dans nos vies, qui nous presse, qui nous bouscule. À toutes les sollicitations, nuits d’hôtel, heurts, et rencontres de passage. Choses aperçues. Ou, le plus souvent, choses senties à l’intérieur de nos viscères, dans le corps, dans notre corps.

Car c’est bien du corps qu’il s’agit. Non d’un corps souple et désirable, et caressable. Non d’un corps qu’on voit, qu’on désire. Et qu’on veut prendre. Mais d’un corps fait de matières. D’un corps qui salive et qui coule, qui expulse, qui jute et fuit. De ce corps que l’on transporte et qu’on a toujours avec soi, tous les jours, dans lequel on vit. Et qui nous enferme, et nous piège. Et qui commande à notre place, ce qu’on peut et ce qu’il faudrait. Ce qu’on doit vivre. Et, pourtant, dans ces masses de langue qui s’exposent sur un fond blanc, ces blocs ou ces grappes de mots, le corps même n’est pas en butte à l’expression ou la pensée de tout l’être. N’est pas en lutte avec la parole elle-même. Le dit du corps est, ici, comme un fait de langue, fait partie du corps de la langue. Est de la langue. Et ne fait plus qu’un avec elle.

Et c’est cela qui étonne, sans doute, le plus, à la lecture de cet ouvrage. Et qui donne, à ces courts textes, l’impression d’une voix singulière, personnelle, guère entendue. La langue – comme le corps – est ici malaxée, mâchée, travaillée, et rebrassée jusqu’à l’extrême. Est tordue, soumise – comme le corps – à diverses sollicitations : désirs, violence, haine, amour, et sexe. Aucun mot, pour Pascal Leclercq, n’est à éviter, n’est à fuir. Et ceux mêmes du quotidien, ceux que l’on emploie tous les jours pour le corps, les besoins du corps, ou la cuisine, pour dire la vie (dans ce qu’elle a d’instinctif, de vie animale, de viscéral) sont ici mêlés, mélangés aux images de la tradition poétique. Aux mots du poème.

Parfois, c’est un repli de langue qui souligne un repli sur soi, ou un refuge cherché, trouvé, dans les replis du corps de l’autre. Parfois, un trou, une trouée, comme une échappée vers quelque chose de plus léger, volatile, plus aérien, et moins suffocant qui survient. Mais c’est toujours un vrai plaisir, délectable comme un gigot ou une viande faite en sauce, que l’on a à goûter ces textes qui disent tant et tant de nos vies.

Et de notre être.




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Iconographie, compagnonnage et réapparitions de Jac Vitali
La Dragonne
274 p, 18,00 €
couverture