Dictionnaire de la Méditerranée

 
par Michéa Jacobi

Une des figures les plus connues de la poétique des dictionnaires et des encyclopédies est celle que compose le côtoiement, forcé par l’ordre alphabétique, des entrées. C’est en triplets qu’elle s’exprime le mieux ici : Épice Épidémie Esclavage – Football Forêt Fromage – Olivier Opéra Orientalisme ; c’est tout pour le O.

À la lettre V, la triade : Vent Vigne Virginité, se fait lyrique qui évoque irrésistiblement ce passage du Cantique des Cantiques : « Ils m’ont mise à garder les vignes ; ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. »

L’ouvrage, en élégant papier bible justement, privilégie les abords anthropologique, historique, politique et géographique. Tous les articles, écrits dans une langue qui sait le plus souvent ne pas être trop universitaire, sont assortis d’une importante bibliographie. L’usage de les débuter par l’étymologie est assez fréquent, les néologismes sont rares. Le tout est enrichi de trente cartes, d’une précieuse chronologie et de trois index : thématique, des noms de personnes, toponymique.

Le premier est significatif : il nous apprend par exemple que l’identité et l’identitaire, ces concepts aujourd’hui au cœur de tant de débats (pour certains ils sont essentiels, pour d’autres, ils sont secondaires ou carrément fictifs) sont évoqués dans l’ouvrage près de deux cent fois.
Mais il est aussi problématique. Il nous permet de retrouver les endroits où l’ouvrage évoque les moutons, les brebis, les ovins, mais ne porte aucune trace de taureaux, de bœufs ou même de bovins, et je ne parle pas des ânes ; on n’y trouve ni le mot faune, ni le mot flore ; on nous y instruit de la présence de tas de confessions et de confréries mais les termes d’ouvrier, de paysan ou de syndicat n’y ont pas droit de cité.

Pour le reste, il vaut mieux se reporter aux titres mêmes des articles pour comprendre l’esprit dans lequel a été conçu cet excellent ouvrage. Croisades, colonisation, décolonisation, diaspora, échelles du Levant, frontière, lingua franca, migration, navigation, nettoyage ethnique, transhumance, voyage… ce sont les échanges et les conflits qui semblent privilégiés : plusieurs noms de batailles ont d’ailleurs ici droit de cité. Pour les auteurs, ce sont ceux, géographes ou ethnologues, qui se sont intéressé précisément et longuement au thème de la Méditerranée qui paraissent mis en exergue : Braudel, Ibn Khaldûn, Reclus, Tillon… Seuls Homère, Albert Camus et Taha Hussein, auteur de l’admirable Livre des Jours échappent à cette détermination. Pourquoi ces trois poètes et romanciers seulement ? Pourquoi ni Virgile ni aucun auteur latin ? Pourquoi Istrati et Kazantzakis ne sont-ils même pas dans l’index ? Pourquoi Fernand Pouillon est-il le seul architecte, et même le seul plasticien à mériter un article entier ? C’est plus difficile à comprendre.

Deux articles intéressent spécialement CCP : Poésie et Peinture. Les mots-clés donnés pour le premier : anthropologie de la culture, discours, frontière, perspective transrégionale, poésie, transferts, expriment bien sa tonalité. C’est un texte synthétique et savant qui s’intéresse aux formes plutôt qu’aux thèmes, cherche d’une façon non exhaustive à décrire tous les mouvements et préfère ne citer aucun vers et ne donner aucun recueil en référence. Du second, on extraira cette phrase sans nuance  à propos de Renoir et Matisse : « Mais laissons de côté ceux qui sont venus trouver le plaisir de peindre sur les rives accueillantes de la mer intérieure. Ce sont en quelque sorte des peintres coloniaux. Ils ne doivent rien au lieu… ». Et on laissera nos lecteurs juger de la subtilité de cette analyse.




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Sous la direction de Dionigi Albera, Maryline Crivello et Mohamed Tozy
En collaboration avec Gisèle Seimandi
Actes Sud
1698 p., 49,00 €
couverture