Roger Giroux : L’arbre le temps

 
par René Noël

Tension du chaos hors champ et des infinités d’images, L’arbre, le temps – Je voulais alors décrire un paysage : cela me hantait – brasse l’intention, l’intuition, l’hallucination simple – Ce qui montait du cœur de l’arbre, je ne savais le dire : / Car de ce paysage aucune voix ne se levait... Je n’ai d’autre logis que cette phrase sans contexte... que cet absent visage... Le poème antérieur, Rien n’est jamais dit. Et, toujours, dire ce rien, désir épuré, tamisé, calmé, objectif – moins délyré, moins embarqué du côté de l’art objectif imaginaire et protestant, du dénuement dandy de Ponge –, d’une littéralité neutre vis-à-vis d’écoles, de styles, de manières, revendique le lyrique qu’il nocturne : la sobriété d’un Maurice Scève, (Reine d’aller, jadis / Et, plus proche que toutes, / Être soi-même le désir, / Elle disait je viens, Comme on dresse les fleurs, / Par soudaine clarté : // Cette chambre où je suis, / D’un matin idéal) et l’aridité de l’auto-spéculatif, « car il faut savoir »1, Roger Giroux chassant parmi les mots – les pierres2 – l’état de poésie extérieur qui infuse en lui, sa forme, dimension, précises, puisqu’elles le changent, et rétives, les vers qu’il propose à l’expression de ce halo, le manquant, le trahissant tôt ou tard. L’hors-céleste vide et omniprésent, muet et invisible, devient ainsi sensible par l’exercice d’une modernité paradoxale, puisqu’elle ne juge pas ni ne préfère parmi les styles, mais traque l’empreinte d’un je entier réaliste, d’une singularité dont le chiffre unique lu serait transitif, commun, inscrit, pièce de puzzle, dans l’humanité. L’un divers à travers le poème, secret de la poésie consistant dès lors (Laure) à rapporter des intransitivités, chaque poète avec toutes les formes de vie figurant l’humanité faite d’autant d’exceptions qu’il y a d’hommes. Les vers non barrés ni jetés exposent l’intransigeance du poème à l’époque, instant t, où cet un divers passe la main du poète, y trouvant ce vent contraire, Dogona, aile, signes décisifs, qui le font devenir ce qu’il n’est pas idéalement, et un don, une facilité, une vista rares. Clarté du sésame3, du ressac inconcevables et banals, souffle du hasard – où le même, toute mimésis = créations, mémoires (jusqu’) au futur – qui exposent les passages de témoin entre frères humains ainsi que l’antérieur mutique subvertit le langage à mesure qu’il s’écrit.




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Éric Pesty Éditeur
104 p., 18,00 euros
couverture

1. Anne-Marie Albiach, État. Anne-Marie Albiach a écrit « La nudité et le démembrement de la lettre », critique de « Est-ce », l’un des textes les plus aigus écrits sur la poésie de Roger Giroux. « La nudité et le démembrement de la lettre » fait partie d’Anawratha publié par les éditions Spectres Familiers et repris dans Cinq le Chœur : édition de ses poèmes, textes et livres écrits entre 1966 et 2012 chez Flammarion.

2. « Je chasse parmi les pierres », dernier vers du poème « Les martins pêcheurs » de Charles Olson qui cite un peu plus haut dans le même poème les 2 premiers vers de « Faim » d’Arthur Rimbaud : « si j’ai du goût, ce n’est guère / que pour la terre et les pierres ». (Denis Roche, 3 Pourrissements poétiques, « L’envers », L’Herne, 1972.)

3. « Retenir l’air / l’instant d’une barque / abandonnée » L’arbre le temps, Roger Giroux. « UNE BARQUE BRÛLE SUR LES REMBLAIS DU PORT » Anawratha, Anne-Marie Albiach.