par Colette Tron
« Qu’est-ce au juste que l’aura ? Une trame singulière d’espace et de temps : l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. » Ainsi Walter Benjamin décrivait l’aura dans sa Petite histoire de la photographie (1931), introduisant la dualité de sa présence et de son déclin dans le cadre des évolutions techniques : l’unicité et l’authenticité d’une situation, son hic et nunc, en opposition à l’ubiquité appréhendée par Paul Valéry, citée en exergue de L’œuvre à l’ère de sa reproductibilité technique (1939 pour la version finale), mais surtout au rapprochement vers les masses via la reproduction et sa fugacité. « Dégager l’objet de son enveloppe, détruire son aura, c’est la marque d’une perception qui a poussé le sens de tout ce qui est identique dans le monde », parvenant à « standardiser l’unique », ou la singularité de la relation à l’œuvre. Cette unicité et authenticité propices à l’aura ne se forment que par des dispositifs ou un appareillage, et sont propres à chaque période ou histoire de l’art, générant une ritualisation et une cultualisation conférant sa valeur à l’œuvre d’art. Technologies et matérialité étant une structure en vue de cette spiritualisation, la faisant ainsi échapper à la réification. Ou la transcender versus la fétichiser, ce qui sera le destin de sa marchandisation. Le déclin de l’aura bouleverse le statut et la fonction de l’art, dont la reproductibilité est un facteur majeur, ainsi que le phénomène social de la distraction, tout autant induit par la massification que par les pratiques des avant-gardes artistiques.
L’ouvrage de Jean-Pierre Cometti interroge les facteurs d’art (à la suite de son précédent essai sur l’art Art et facteurs d’art, ontologies friables, Presses Univesitaires de Rennes, 2012) à l’aune de la contemporanéité, des contextualités de l’œuvre, de son économie générale, révisant notamment les valeurs (et vecteurs) de cultualisation comme, ou avec, celle d’exposition. Cette réévaluation ne pourrait se faire sans une auscultation des pratiques et de leur catégorisation dans le champ de l’art, et non sans la difficulté d’éviter une essentialisation défavorable à l’actualisation des réalités artistiques, celle du « contemporain », dans une histoire de l’art.
Différant de certains des caractères retenus par Benjamin, l’analyse de Jean-Pierre Cometti s’attache aux conditions et aux manifestations de la formation d’une « nouvelle aura », ce dans « les rapports complexes de l’art, de l’économie et de la culture ». Les critères de valorisation contemporains étant en effet plus complexes et variables que ceux de l’unicité et de la reproduction ou de la rareté et de l’abondance, et les instances de validation et d’autorité se négociant entre institutions publiques, initiatives privées, déplacements continuels des dispositifs et des modes opératoires, et enfin peut-être au-delà même du marché, par la seule spéculation et ses aléas, dans des sphères économico-sociales ambigües et parfois auto-référentielles. Mais encore, la mondialisation comme standardisation pourrait être une autre reproductibilité, et le présentisme de la contemporanéité une autre fugacité, qui, au lieu de faire décliner l’aura, la renforcerait.
Le facteur temps, dont Jean-Pierre Cometti scrute la relation à l’histoire via le contemporain, et en déduit un divorce, est relié à celui de l’art comme expérience, et cette dernière comme événement : le temps de la durée est révolu, est venu celui du temps-événement (apparu avec les arts d’avant-garde), durant lequel il y a socialisation, par médiatisation (qui n’est autre que l’appareillage, que ce soit celui de l’exposition ou des technologies, pour exemple), cela dans un temps devenu événementiel. Et c’est peut être là le temps des œuvres et de leur auratisation, plus que celui de l’histoire, fût-ce de l’art. Un autre culte, ou rituel, entre sacralisation et fétichisation. Modalités de fréquentation de l’art orientant les valeurs, validations, évaluations, valuations, et toutes sortes de condition(nement)s qui lui sont appréciables, quantitativement ou qualitativement.
Fi de l’autonomie de l’art. Le voici aliéné aux processus économiques en cours, ceux de l’ultralibéralisme, intégrant ou excluant. Dans cette aliénation, quid du maître et de l’esclave ?