Lisa Robertson : Le temps

 
par Alain Cressan

On pourrait définir le travail de Lisa Robertson comme une poétique de l’entrelacement, au moins en lisant ce qui en a été traduit en français1. Ce nouvel ouvrage confirme et accentue cette impression dans sa forme. La première partie, divisée en jours de la semaine en partant du dimanche, fait alterner une prose rythmée par l’anaphore en variations et un texte en vers, « Résidence à C_ ». La suivante, construite en brèves pièces de vers, regroupant plusieurs strophes allant du monostiche au quintil, fait jouer aussi la répétition des motifs sémantiques. La dernière, « Introduction au temps », forme paradoxalement une sorte de postface à l’ensemble, réamorçant le livre.
Le temps : temps qu’il fait, qui passe, perçu, subjectif et objectif, celui du récit, de l’écriture, de l’histoire et de l’Histoire, politique et privé, protéiforme et variable… Un autre espace d’entrelacs, lieu commun à un nous prépondérant, pronom qui généralise autant qu’il forme une communauté. La première personne du singulier, essentiellement sujet d’une description (« Mon but ici est de progresser dans / le sentiment du temps, la leçon / du temps »), interpelle (« Donnez-moi les mots rebattus car / ils sont bons. […] »), tâche de former un socle perceptif à ce qui est partagé, une atmosphère collective : « Les jours s’amoncellent sur nous. […] L’utopie s’effondre. » Comme s’il s’agissait de rendre le temps présent, dans un travail de raccordement (« C’est le matin clair, magnifique, incompris ; nous prenons les connections. […] C’est l’écoulement régulier des brindilles ; nous nous occupons des problèmes techniques. »).
Le texte joue ainsi sur sa temporalité, avec différents dispositifs simples (le présentatif amenant au nous, par exemple, dans la dernière citation, mais aussi les énumérations, les anaphores à intervalles variés, etc.) répétés à l’envi, avec un travail sur la transition. On peut penser, par analogie, à la musique de Steve Reich, qui fait mouvement d’une structure simple, et le texte apporte le même plaisir, entre apparition et disparition, dans un écoulement où chercher à s’orienter, à prendre pied.
Et on s’y laisse aller, avec bonheur.




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Traduit de l’anglais (Canada) par Éric Suchère
Nous
80 p., 14,00 €
couverture

1. Brouillon de voix off pour une vidéo en boucle écran divisé, chez contrat maint, et Cinéma du présent, au Théâtre Typographique, tous deux traduits par Pascal Poyet.