James Sacré : Affaires d’écriture 2

 
par Ludovic Degroote

Même lorsqu’elle devient réflexive ou méditative, la poésie de James Sacré ne se défait jamais de l’objet qui la fait naître ou qui la porte. Inversement, jamais cet objet ne défait le poème de sa capacité à observer sa propre élaboration : il est à la fois ce qui permet d’entrer dans l’intimité (de la scène, d’un paysage, d’un tableau, d’une émotion) et de conserver une distance vis-à-vis de cette intimité, sans doute parce que le poème inclut comme une sorte de surmoi la dimension formelle et technique qui lui permet d’exister, c’est-à-dire d’être fabriqué par son auteur. Ainsi le poème assemble ou rassemble la diversité sensorielle et intelligible du monde et de soi à partir d’un motif, concret, identifié, exposé. Il me semble que c’est ce que met en évidence ce second volume de reprises1, articulé essentiellement comme l’indique son sous-titre autour de l’image : peinture, gravures, photographie – le second touchant davantage à des lieux confrontant solitude et partage, comme un restaurant ou la place d’une ville en France ou au Maroc, mais cela est de peu d’importance, puisque au fond le motif se présente toujours comme une forme de nourriture. La place dominante réservée aux peintres, depuis Patinir et l’oncle Achille jusqu’à Michel Durigneux ou Scanreigh, dont on voit également la primauté à travers les très nombreux livres d’artistes recensés dans les notes bibliographiques, exprime l’attention admirative que James Sacré entretient avec eux, mais aussi le moteur qu’est ce travail de formes et de couleurs. Approche du réel, la peinture devient vectrice du poème, et du mouvement que celui-ci, avec ses outils, va chercher non pas à fixer mais à rendre compte dans sa propre mobilité : on sait la manière qu’a James Sacré de travailler le vers et le poème à l’intérieur d’une langue elle-même mobile par rapport aux codes qui voudraient l’enfermer. Aussi polysémique qu’il soit, le terme motif lui-même dérive d’un mot latin qui évoquait le mouvement. Coïncidence qui dit la cohérence de cet ensemble, qui pose « le poème comme une peinture de langue. »




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(Ancrire ce qu’on voit)
Tarabuste
« Reprises »
240 p., 12,00 €
couverture

1. Titre de cette collection aux éditions Tarabuste. Les trois volumes repris : La peinture du poème s’en va (1999), Écrire à côté (2000), Le poème n’y a vu que des mots (2007).