Gabriel Gauthier : Simurgh & Simorgh

 
par Alain Cressan

Emmanuel Hocquard écrit quelque part qu’il rejette « les publications bilingues (textes américain et français en vis-à-vis) qui, non seulement sous-entendent quelque chose comme le signe = entre les deux textes mais suggèrent une possible proximité »1.
Le livre de Gabriel Gauthier se présente pourtant ainsi : un texte en anglais et en face, semble-t-il d’abord, sa traduction. Pourtant, dès le titre, par l’esperluette, qui lie et indique une addition, une différence (u/o) nous indique qu’il n’y a pas un texte anglais et ce qui lui correspond en français, mais deux textes, et, dans le va-et-vient entre les deux, un troisième texte. Car le lecteur ne tarde pas à comprendre que sa lecture ne peut être que celle d’une bande verticale (en anglais ou en français) dans la continuité du texte dans le livre, mais une troisième lecture, horizontale, à travers la frontière du pli central du livre, entre les blocs de la page, qui jouent l’un avec l’autre, dans la traduction bien sûr mais également à travers des éléments qui ne correspondent pas tout à fait, voire pas du tout.
Simurgh, ou Simorgh, est une créature de la mythologie perse, une sorte de proto-phénix iranien, des environs de Persépolis (i.e. géographiquement pas très éloigné de Babylone, Babel, dans un babil de notre culture). C’est un hybride, mi-oiseau, mi-chien, dans sa représentation la plus courante, d’où la référence, énigmatique au départ, à ces deux animaux dans le premier parcours du volume que nous avons entre les mains (volumen – la bande de texte – et codex, avec sa reliure centrale).
Un hybride donc, entre deux formes données à l’écrit, entre deux langues traduites sans qu’on sache laquelle est source, entre deux animaux dans la thématique, etc. Cette hybridation est le fondement de l’énigme que met en jeu, très finement, ce petit livre, à travers ses pages en miroir, et la mise en abyme incessante qui en découle, vertigineuse et stimulante.
Ce premier livre de Gabriel Gauthier est une réussite, qu’on ne saurait trop conseiller de faire tourner.




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Théâtre Typographique
80 p., 13,00 €
couverture

1. « Taches blanches », dans ma haie, P.O.L, 2001, p. 403.