Cahiers Maurice Blanchot

 
par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

C’est sous le signe de ce qui fait lien, vers l’amitié et la communauté, que la quatrième livraison des Cahiers Maurice Blanchot nous propose deux dossiers d’investigation. L’un sonde l’amitié toute clandestine qui dut se tisser entre Blanchot et Bataille. Une amitié plus que discrète et où le vouvoyement de part et d’autre était de rigueur. On sait qu’elle ira jusqu’à se sceller irrévocablement par la décision, prise d’un commun accord, de faire disparaître toute trace de leurs échanges épistolaires. Était-ce pour préserver ainsi, par une sorte de silence posthume, ce que toute amitié aurait pour tâche de sauvegarder aux yeux de Blanchot ? À savoir la part d’inconnu qu’incarne l’autre, et qui est aussi sa part de vérité. Une vérité dont il est à son insu le détenteur, ayant à l’incarner, et parfois à son corps défendant.

Par une étrange ironie du sort, l’amitié qui dut les lier s’avéra aussi le titre que Bataille avait retenu pour un projet livresque non réalisé, et que Blanchot se chargera de reprendre pour l’un de ses livres d’essais paru en 1971 chez Gallimard, alors que Bataille n’était déjà plus de ce monde. En exergue à ce livre survient une citation des plus troublantes et qu’on n’est pas sans lire comme une dédicace posthume de Bataille à Blanchot. Elle relate leur amitié au plus juste : « ... cet état d’amitié profonde où un homme abandonné de tous ses amis, rencontre dans la vie celui qui l’accompagnera au delà de la vie, lui-même sans vie, capable de l’amitié la plus libre, détachée de tous liens ». Je ne sais de quel livre de Bataille cette citation a été extraite. J’ai seulement cru deviner, tout en la lisant, qu’elle aurait pu être de la main même de Blanchot. Une fausse citation en quelque sorte, et qui d’outre-tombe, fait appel de leur rencontre en 1940. Une citation qui pourrait survenir aussi au cours de ce récit qu’est Le Dernier Homme et que Bataille avait lu et commenté dans un article critique. En quelques mots elle nous livre le destin d’une amitié sur laquelle on continuera certainement à se perdre en conjectures de toutes sortes, comme le prouvent du reste les contributions à ce dossier inclassable et qui reste ouvert à tous vents.

L’autre dossier, tout aussi énigmatique, tente de retracer un dialogue de sourds qui s’est étendu sur trente années entre Blanchot et Jean-Luc Nancy autour de la notion de communauté et du deuil anticipé que toute communauté doit toujours faire d’elle-même. En une suite de trois livres, Nancy la dira tour à tour désœuvrée, affrontée, et désavouée. Blanchot quant à lui, persistera à lui répliquer qu’elle est foncièrement inavouable, et ne saurait se communiquer, à moins de recourir à un sacrifice comme Bataille l’envisageait avec ce groupe éphémère d’initiés que fut Acéphale. Il citera aussi comme inavouable cette autre communauté de solitaires que configurent à leur insu tout ceux qui écrivent et qui lisent. Elle ne saurait avoir de témoin, vu que ses membres restent injoignables. On peut même à bon droit douter de son existence réelle, même si des livres en viennent à s’écrire et se lire au hasard des circonstances.




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Cahiers Maurice Blanchot
N° 4
Les Presses du réel
160 p., 17,00 €
couverture