Ces deux ouvrages du poète-voyageur qu’est André Velter se font écho. Le jeu du monde est un recueil de cartes postales étalées de 1988 à 2015, poèmes en prose, ou en vers, envoyés à son ami Yanny Hureaux, « le sédentaire par excellence autour de qui mettre en train le mouvement du monde ». Le recueil est circulaire : s’ouvrant sur une carte envoyée de Turfan, « le point le plus bas de Chine », il se clôt presque sur deux cartes datées de Pékin. Si les destinations du poète sont variées, certaines sont récurrentes, comme la Chine et sa capitale, mais aussi Séville, Bangkok, Barcelone, Mexico, ou encore l’Inde. André Velter évoque les sensations et sentiments que suscitent les lieux en entremêlant les particularités géographiques aux références culturelles (de Port-Bou : « Walter Benjamin a trouvé le juste lieu d’exil pour son corps épuisé et son désir de passage anonyme »). La description devient en cours de phrase suggestion, en un aller-retour permanent entre monde extérieur et monde intérieur. La carte envoyée de Karakorum le 25 juin 2011, qui évoque « l’immensité mongole », « la geste de Gengis », « son élan sauvage », et un « départ sans autre but, sans autre orientation que le non-retour », pourrait être la matrice de Loin de nos bases (dont parle la carte du 8 mai 2014), écho à l’Anabase de Saint-John Perse. Encadrée par deux « chansons » qui balaient l’autorité des législateurs et des prédicateurs, la « Sédition sans partage », poème en prose de treize « chapitres », est un chant de fière liberté qui accompagne le voyage du poète vers Tao Yu. Il ne s’agit cependant pas d’aller quelque part, mais de partir sans retour et sans but autre que celui de vivre pleinement, « sans Dieu, sans maître », dans un pur présent (« la visée était tout entière et intensément d’être là ») avec pour « boussole physique et mentale » « le principe de plaisir ». Le ton est celui du défi ; la phrase, vive et enlevée, est souvent exclamative, le rythme, celui d’un galop poétique insoumis.