Pierre Roux : Traité de la Science de Dieu

 
par Francis Cohen

Le titre complet du livre de Pierre Roux suffirait à lui seul à rendre compte de son contenu : Traité de la Science de Dieu ou des causes premières, ouvrage révélant le grand mystère de l’électricité et du magnétisme, celui de la pile omnipuissante et intarissable et les lois éternelles de la physiologie générale et constituant la galvanoplastique daguerrienne universelle. Cette édition propose des « morceaux extraits ».
Ce livre – c’est l’intérêt de cette publication – pourrait se lire comme un complément aux Enfants du limon de Raymond Queneau. Pierre Roux est au centre du livre de Queneau, qui lui consacre une présentation plus importante encore dans son livre posthume sur les fous littéraires1. Mais comme Chambernac, dans Les Enfants du limon « je ne sais vraiment pas par où le prendre ce Roux, ni comment commencer. »
Raymond Queneau a remarquablement bien présenté la doctrine de Pierre Roux ; c’est un dualisme manichéen ordonné à une conception hygiéniste du monde, l’injection et l’excrétion sont les pierres de touche du système : « Nous entendons, écrit Pierre Roux, par injections, ou absorptions, ou endosmose, tout ce qui touche l’homme, ou qui entre dans son corps. » L’air, la nourriture, les passions, les amitiés, les sons, la parole entrent ainsi dans le corps. Par excrétions, Pierre Roux désigne tout ce qui sort du corps, la respiration, les excréments, la sueur, la morve etc. mais aussi le mensonge et tous les mauvais sons, signes, mouvements, formes, regards, rencontres, vues, écriture, dessins etc.
Ce livre est écrit sous la dictée de Dieu, la parole de Dieu est injectée (ou introjectée) mais l’écrit est excrété, le texte serait l’élément éjectif, impur, de la parole divine. Le soleil « porte le manteau de Dieu », c’est une immense fosse d’aisance, « les hommes sont [aussi] des petits soleils ambulants. » La nature excrémentielle de Dieu sur laquelle Raymond Queneau a insisté en en faisant, comme l’écrit Madeleine Velguth dans son introduction aux Confins des ténèbres de Raymond Queneau, un élément de sa mythologie personnelle est confirmée par le délire du Président Schreber, puisque les rayons du soleil absorbent ses excréments et les rayons divins, en retour, se croient habilités, écrit le Président Schreber, « à ch… sur le monde entier. » Marc Décimo le note dans sa postface, « comme dans le cas du Président Schreber, Dieu pénètre Roux. »
Lorsque Roberto Calasso2 rencontra, au début des années soixante, le Président Schreber « à Londres, dans un pub de Charing Cross », il n’osa pas lui dire que la pile omnipuissante de Pierre Roux remplaçait Dieu et ne cessait de faire passer un courant électrique dans ses nerfs qui continuait à le maintenir en vie, Daniel Paul Schreber semblait s’être mis en ménage avec Pierre Roux, ils vivaient dans l’appartement de Chambernac à Mourmèche.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Éditions Pontcerq
213 p., 13,00 €
couverture

1. Raymond Queneau, Aux Confins des ténèbres. Les Fous littéraires, Gallimard, « Les Cahiers de la nrf », 2002.

2. Roberto Calasso, Le Fou impur, Gallimard, 2000.