Sony Labou Tansi : Poèmes

 
par Frédéric Valabrègue

Les premiers écrits de Sony Labou Tansi qui nous soient parvenus, La vie et demie (1979) et L’état honteux (1981), ont marqué le monde littéraire par leur violence, leur insolence et leur désinvolture. Il y a une bagarre dans ces écrits, une empoignade parce que toutes les conventions les plus scolaires et éculées de la littérature y sont utilisées selon un jour inattendu. Elles sont jetées les unes par dessus les autres. Le français auquel le texte se plie prend des définitions nouvelles. L’expression convenue, il la fait déraper. Ce n’est pas le vernaculaire, le kikongo, ni le fait que Sony Labou Tansi ait acquis le français au CM1, qui donne un goût aussi vif à sa langue d’étranger dans sa langue. Pas de pittoresque ni de volonté de « créoliser » le français, mais celle d’affranchir la langue du colonisateur de son savoir factice et de son autorité. Cette langue d’autorité, il la déborde par l’intuition.
Sony Labou Tansi s’est voulu poète avant romancier, essayiste et auteur dramatique. C’est grâce à Nicolas Martin-Granel et à son équipe que nous pouvons lire aujourd’hui l’ensemble de ses poèmes retranscrits avec leurs ratures, méticuleusement mis au propre à partir de ses cahiers et carnets retrouvés et de sa correspondance. Dès le début de sa production poétique, très tôt, avec la première version des Vers au vinaigre et la seconde, Sony Labou Tansi préfère continuer à improviser plutôt que revenir sur un premier jet. Il est en « promenade », titre de chacun des poèmes. Il dit écrire un livre « par étourderie » tellement il ne veut rien arrêter de ce qui le presse : honte, colère, dégoût, ivresse charnelle. La présence des ratures et des repentirs somme toute rares dans cette édition critique monumentale ne relève pas que d’un souci scientifique, elle nous renseigne sur une écriture ne revenant jamais sur ses pas parce qu’elle a déjà un autre angle d’attaque. C’est une écriture en marche qui parfois rencontre la poésie et parfois passe à côté. Elle a quelque chose d’une friche surabondante et irrégulière avec des faiblesses, des litanies et des fulgurances. Il faut que l’amoureux de la poésie trie son or dans ce tas et qu’il imagine ces villes de la récupération et de la débrouille que sont Brazzaville et Kinshasa où tout semble à faire et où tout est déjà tellement poussiéreux et usé. Nous imaginons les cent ans de solitude du poète dans son milieu qui est la rue. Nous imaginons ses premiers lecteurs émerveillés, ses proches de la rue pour qui la poésie s’appelle d’abord la récitation. Nous admirons l’énergie inlassable qu’il possède pour soulever un silence d’arrière-province, affronter le monde des occidentaux, des experts, de ceux qui fixent la valeur, et mettre le feu à leur orgueil.




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Édition critique établie par Claire Riffard et Nicolas Martin-Granel avec Céline Gahungu
CNRS Éditions / Item
« Planète libre »
1260 p., 45,00 €
couverture