Reinhard Priessnitz : 44 poèmes

 
par Thibaud Coste

« Poète culte », « classique du moderne », « légende » de l’avant-garde poétique… La préface a de quoi impressionner le lecteur inculte et non germaniste. Encore que son inculture dit assez que Reinhard Priessnitz n’a pas eu l’écho en France qu’il a pu avoir dans le milieu de la poésie expérimentale en langue allemande des années 1960-1970. Ces 44 poèmes composent le premier ensemble de poèmes traduits en français1 du poète viennois.
Des avant-gardes Priessnitz retient le goût de l’expérimentation, du jeu et de la violence envers une langue usée, violée2. Acceptant « l’effroi », il module et précipite la langue dans un rythme qui la disloque et « récolte le vacarme ». Parodies, odes, « ballode », babils, bégaiements (« hmpf & v’là lo tobl c’est la ta / ble ouais & lò est lo tobl bon=bon v’ / là don la table ») ou glossolalies (« mrtnmrtn mrtn fta fta »), tout compose un orchestre désaccordé de langues et de voix, de graphes et de sons. Les poèmes de Priessnitz s’attachent ainsi à retrouver la singularité matérielle d’une langue, à l’arracher de son histoire, de son présent aussi, de l’illusion poétique et subjective de la présence à soi. Écrire, ici, c’est écrire contre, c’est écrire à travers « l’écran de l’intime ».

« serait-ce ça la faille ? alors, écarteur ; é
crire avant l’écran avant l’écrire,
le fracassé, l’enfilé, la fêlure ;
tout le visqueux vitreux de l’écriture,
exquis, le sublime, le vaniteux miroir ;
à l’intérieur pareil : l’écrit avant l’écrit,
hop par la fenêtre, dégraissé, car insensé, un
sursaut ; intime ? »

S’il y a bien un certain lyrisme, celui-ci ne se leurre pas dans la transparence du poème mais cherche dans et par son opacité à faire surgir une tonalité affective en surface. Dès lors, même à travers la traduction apparaît le travail en cours : une trituration langagière. La traduction d’Alain Jadot prend ainsi le parti de privilégier le jeu graphique et sonore sur le signifiant – parfois au détriment du signifié. Travail qui fut certainement celui de Priessnitz lui-même.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Poésie complète
Traduit de l’allemand par Alain Jadot
Préface de Christian Prigent
Édition bilingue
Nous
« grmx »
160 p., 18,00 €
couverture

1. Christian Prigent signale que quelques traductions étaient parues dans Le Nouveau Commerce (en 1981) et dans TXT (en 1983).

2. « Comme tout ce qui s’écrit alors à Vienne en dehors des sentiers académiquement battus, l’œuvre a pour horizon répulsif le massacre de toute langue vivante et de toute pensée libre perpétué vingt ans auparavant par la novlangue du IIIe Reich. »