Paul Celan / René Char : Correspondance 1954-1968

 
par René Noël

Ce sont deux poètes parisiens qui s’écrivent, si bien que leurs échanges épistolaires sont le plus souvent formels et laconiques, tous deux s’adressant des mots, des cartes postales, pour se donner rendez-vous ou accompagner l’envoi de livres. En 1954 René Char a vu Albert Camus publier Les Feuillets d’Hypnos et prépare pour l’année d’après l’édition de Recherche de la base et du sommet, Paul Celan est un des poètes les plus connus outre-rhin après la parution du Sable des urnes et verra De seuil en seuil édité également en 1955. Char, lecteur de Novalis et des romantiques allemands (contre Goethe, trop logique à ses yeux) cherche un traducteur de sa poésie en allemand. Si bien que sur les conseils d’amis, il contacte Celan qui apprécie sa poésie et par-dessus tout son intégrité. Char ignore l’allemand et n’a ainsi idée de la poésie de son vis-à-vis qu’à travers sa renommée1. Celan voit d’abord en Char son seul ami – à Paris. Celui-ci fidèle à sa jeunesse surréaliste sera de fait un des poètes français qui aidera, au besoin même par le coup-de-poing, le plus concrètement son cadet, conscient que le peu de leçons tiré de la seconde guerre mondiale à peine la libération obtenue peut frapper et désespérer les esprits les plus lucides et endurcis. Celan a raison de déplorer le peu d’aide que lui prodiguent ses amis et relations, dont Char, face aux calomnies incessantes de Claire Goll2. Mais le lecteur s’attache avant tout aux visions, aux traductions par Celan de Char, aux trop rares témoignages de l’esprit de chaque poète. Leurs désaccords ne sont-ils pas inéluctables dès lors que chacun ne fait qu’un avec la poésie ? Leurs parti-pris ne sauraient s’accommoder d’une bienséance, d’une politesse, d’une tolérance un peu fades, alors que la poésie – la vie entière – excède de loin pour chacun sa propre personne. D’autres éditions de lettres de Celan avec Franz Wurm, Israël Schalfen..., de Char avec Paul Eluard, Gilbert Lely... où l’amitié plus proche attise et participe de la vision de soi seront sans doute plus parlantes si un jour elles sont éditées.




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Suivie de la Correspondance René Char – Gisèle Celan Lestrange (1969-1977)
Édition établie, présentée et annotée par Bertrand Badiou
Gallimard
336 p., 28,00 €
couverture

1. À la mort de Char en 1988, Celan reste peu traduit et quasiment inconnu en France. À ce jour, le recueil Fadensonnen, 1967, n’est pas traduit. Les gravures de Gisèle Celan Lestrange, appréciées par Char, sont quant à elles rarement exposées.

2. Claire Goll trouvera longtemps des relais dans la presse allemande, nombre de critiques littéraires antisémites n’ayant jamais été inquiétés après guerre.