Ko Un : Poèmes de l’Himalaya / Fleurs de l’instant

 
par Odile Mouze

Chuchotements1, rédigé au retour d’une marche de quarante jours dans l’Himalaya en 1997 était une suite de poèmes de « mise au point » autobiographique (Pendant ces quarante dernières années / je restais toujours un sanglot incomplet). Il y figurait déjà des poèmes inspirés par cette épreuve physique et mentale que s’était imposée Ko Un à 65 ans. Cette fois d’un bout à l’autre des Poèmes de l’Himalaya2 nous cheminons avec lui. Qu’y est-il allé chercher ? L’Illumination, l’Éveil ? C’est probablement ce que le lecteur occidental voudra y voir – l’Occident avide de biens est si friand de mystique. Mais c’est peut-être quelque chose de beaucoup plus à ras de pierre, de bêtes et d’herbes, quelque chose propre à la très haute montagne : une permanence où rien ne passe jamais. Non pas un concept vide ou religieux, mais quelque chose de physique et qui a une odeur, comme les couches du bébé jamais lavées (pas de lessive au Tibet), réutilisées quand elles ont séché, ou quelque chose qui a un son audible, comme par exemple la hiératique, la souveraine, transmission des générations dans les villages où l’enfant appelle Grand-père son grand-père, son arrière-grand-père et son arrière-arrière-grand-père, miroirs de son passé comme de son avenir, tous là autour de lui à prononcer les mêmes mots d’accueil.

Entre 5000 et 6500 mètres d’altitude, il n’y a rien. Et c’est pourquoi on y ressent si violemment le monde. La pluie. Le tonnerre. Le ciel, la nuit, les étoiles, la lumière. Le vent. Et surtout l’oxygène, parce qu’il y a très peu d’oxygène, et que Ko Un n’a plus qu’un poumon. Y a-t-il autre chose ? Il y a la peur, la maladie, la solitude, l’épuisement. La vie, la mort qui sont tout et si peu. Et encore le vent, l’averse, l’oxygène raréfié, la lumière, et encore l’épuisement... La poésie de Ko Un est extrêmement accessible, et extrêmement lointaine, comme est la vue sur les grands sommets, accessible aux yeux et au cœur mais pas aux mains.

Quant à Fleurs de l’instant3 ce sont des poèmes courts qui ne dérouteront pas le lecteur occidental : il fera le lien avec les formes courtes traditionnelles du Japon, et déjà dans le titre. Mais ici il ne s’agit pas de forme fixe, c’est un parti pris de brièveté à rapprocher des recherches contemporaines – ce qui le déroutera encore moins, c’est qu’ils sont imprégnés de tragique, celui de l’homme d’aujourd’hui séparé du monde et de lui-même, hanté par la souffrance et son absurdité. Ce tragique ne s’exprime pas dans le spleen ou la nostalgie, mais dans l’acuité du regard et les silences. Il ne conduit ni à la violence ni à la confidence, sinon de biais. La manière de Ko Un est toute d’antiphrase, de parabole, de non-dit : le vide cerne les pleins. Si cruels que peuvent être les petits crayons de Fleurs de l’Instant, là encore Ko Un reste dans la distance – mais une distance qui s’approche.




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Poèmes de l’Himalaya
Traduit du coréen par No Mi-Sung et Alain Génetiot
Préface de Françoise Robin
Decrescenzo
208 p., 13,00 €
couverture
Fleurs de l’instant
Traduit du coréen par Ye Young Chung et Laurent
Zimmermann
Circé
108 p., 12,00 €
couverture

1. cf. CCP n° 23.

2. publié en 2000 à Séoul.

3. publié en 2001 à Séoul.