Hélène Sanguinetti : Alparegho, Pareil à rien

 
par Odile Mouze

Comme toute œuvre longuement pesée, Alparegho, Pareil à rien est un objet complexe, dont la complexité se découvre à mesure. Long poème narratif, il se développe presque comme un conte. De fait, un conte (C’était un jour, une fois, maintenant…) qui tiendrait le milieu entre l’apologue et le rêve avec ses coq-à-l’âne, ses incongruités, est enchâssé aux deux tiers du poème. Formellement c’est du théâtre qu’Alparegho est le plus proche. Mise en scène de voix venues de partout – ou sorties de nulle part. Théâtre, quasi ballet, car tout est mis en mouvement par une voix off, un Narrateur (Narratrice) vieillissant, on le comprend de biais (de quel pays / j’ai poussé ma barque / jusque là), ou frontalement : Devenue vieille femme, / moi aussi, et cette déclaration est soulignée de toute la page blanche qui la suit. Car la mise en page est un des signifiants de la mise en scène / mise en voix. C’est le Coup de Dés qui a initié un tel dispositif1. Mais Mallarmé utilise la page comme un cadre de tableau format « paysage », l’intention, picturale chez lui, ici est scénique. Tout vaut didascalies : italiques, romains, changements de corps, emploi du gras ou du maigre. Ou encore, les vers répétés trois fois, et à chaque fois le corps diminue, comme une parole tonitruante dont se répercute l’écho. Parfois dans le corps même de la phrase une majuscule signale une intonation : injonction plus forte, crispation, quelque chose sur quoi la voix doit pousser pour l’expulser, quelque chose qui blesse la gorge et fait saigner la bouche. Et quoique très présente, toute cette mise en scène est discrète, ne se donne pas d’emblée, à l’image de ce qui en est la raison même. On peut rester à la surface onirique du poème. Poème tragique, en réalité : il voudrait / que quelqu’un s’arrête / et le console / d’en être là / dans sa vie. Poème de l’incertaine, de la mystérieuse mémoire. Poème à la recherche du temps, tout entier adjuration, supplication. Convocation d’abord des odeurs, des bruits, des lieux, puis des êtres, les éloignés, les oubliés : il y a des nains et des géants, / Visages, visages et visages, Tous. / Oui, / la plus petite brindille même, sur la tuile. Entrée des fantômes, Ô les Engloutis, les Minuscules / au bout de l’allée. Quelqu’un au bord de la Caverne, du Gouffre, désespérément appelle. Au bord de ce trou dans le réel, à l’intérieur de l’être, où l’enfance et le temps et les aimés sont engloutis, d’où ils font signe, et pourraient remonter à la face du ciel : car il existe un passage / c’est sûr et archi-sûr, / entre les arbres et le / vent, / où votre barque / pourrait tenir / un instant à l’abri / du courant terrible




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L’Amandier
« Accents graves »
104 p., 18,00 €
couverture

1. « Sans présumer de l’avenir qui sortira d’ici, rien ou presque un art… »