Kurt Schwitters / Kate Steinitz / Theo Van Doesburg : Die Scheuche, Märchen

 
par Jacques Demarcq

Kurt Schwitters pour le texte et Kate Steinitz pour les dessins avaient publié, en 1924 et début 1925 à Hanovre, deux contes : Hahnepeter (Pierre le coq) et Die Märchen vom Paradies (le Conte du paradis). En 1923, Theo Van Doesburg avait reproduit dans sa revue De Stijl le livre imprimé l’année précédente à Berlin par El Lissitzky, Suprematicheskii Skaz Pro Dva Kvadrata (L’Histoire suprématiste de 2 carrés)1. Tous trois font équipe en 1925 pour un nouveau livre destiné au même public enfantin, Die Scheuche (L’Épouvantail), publié à Hanovre à l’enseigne de Merz, la revue de Schwitters.
Le conte est aussi simple que dénué de morale. L’épouvantail, son haut de forme, son frac, sa canne, son écharpe, sont déchiquetés par le coq puis les poules d’une basse-cour. Survient le paysan qui menace de détruire l’épouvantail inefficace. Mais la nuit tombe, et des fantômes viennent rechercher leurs biens : frac, chapeau, écharpe, tandis qu’un vaurien s’empare de la canne. Et le jour revient…
L’intérêt du livre est dans sa typographie figurative, qui doit beaucoup à deux ouvrages peu antérieurs : L’Alfabeto a sorpresa (1919) du futuriste Francesco Cangiullo, où lettres et signes de ponctuation dessinent des personnages ; et Dlia Golosa (Pour la voix, 1923)2 dans lequel Lissitzky fait feu d’un matériel typographique de barres, filets, garnitures pour composer des images ou des lettres de grande taille sur des poèmes de Maïakovski.
Dans Die Scheuche, les personnages principaux sont dessinés à partir de grandes capitales typographiques : X pour l’épouvantail, O pour le coq, B pour le paysan. Leur inclinaison variable sur la page et l’ajout de barres figurant leurs membres les mettent en mouvement. Le texte proprement dit est composé en caractères bâtons (genre Futura) de taille variable selon les inflexions orales du récit. Les pages sont imprimées alternativement en rouge et en bleu.
Schwitters, Steinitz, Van Doesburg partageaient l’esprit dadaïste, sur le point de se perdre en 1925. Reste que leurs esthétiques et pratiques personnelles différaient profondément. Leur collaboration, à l’initiative probable de Van Doesburg, a donné à l’ouvrage son caractère unique. Autant les livres de Lissitzky tranchent par l’unité plastique de leur composition, autant « L’Épouvantail » surprend (sans repousser ! comme dans le conte) par l’hétérogénéité visuelle de ses pages, dont les densités et les équilibres varient beaucoup. Ce qui donne à l’ensemble une maladresse enfantine qui fait sa force, où domine la patte de Schwitters.
En publier un fac-similé avec traduction sur un rabat était une excellente idée.




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Orbis Pictus Club
12 planches, 20,00 €
couverture

1. Réédition Tate Publishing, Londres, 2014.

2. Réédition MIT Press, Cambridge (Mass.), 2001.