Céline Pardo : La Poésie hors du livre (1945-1965)

 
par Jean-Pierre Bobillot

Aux deux voies historiques dont participe le devenir-sonore de la poésie de notre temps : poésie scénique et poésie enregistrée (diversement combinées ou non), il convient d’ajouter la poésie diffusée : principalement radio1, mais aussi (quoique rarement) télé. C’est l’apport majeur de l’important et impressionnant travail de Céline Pardo.
Si la première se distingue des suivantes2 autant que de la poésie imprimée, ou livresque, par la co-présence du poète-proférateur et d’auditeurs / spectateurs, il est clair que la diffusion conserve, fût-ce fictivement (mais effectivement, lors d’un « direct »), quelque chose de cette co-présence, qui disparaît avec l’enregistrement. D’où, la précieuse notion de « media de la voix vive », reposant sur l’observation du rôle – largement oublié, ou ignoré (… jusqu’ici) – que jouèrent la scène et la radio dans les années 45-65, et les associant en un sous-ensemble médiologique, transversal à la double alternative : recours à l’audio-technè ou non, co-présence du public ou non.
Rôle, durant cette brève (mais cruciale) période, double :
1° à dominante médiatique, dans une perspective utopique de large divulgation de la « poésie écrite » (via son oralisation) ;
2°, avec les débuts de la « poésie sonore » et « action » – mais ne s’y limitant pas –, à vocation médiopoétique, menant à l’invention d’« écritures » spécifiquement scéniques ou radio­phoniques (« au sens fort »)3. Ainsi de Pour en finir avec le jugement de dieu, la fameuse et datante émission censurée d’Artaud (1947) qui, si elle « ne s’inscrit pas dans des recherches visant à développer l’art radiophonique » (elle est, en cela, « un hapax »), n’en demeure pas moins, par la conscience médio­poétique qu’y a engagée son auteur, l’une des œuvres-clés de cet art.
L’analyse qui en est ici proposée excelle, à l’instar du volume dans son ensemble, par sa précision et sa pertinence théorique des plus stimulantes.

 




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Le poème à l’ère de la radio et du disque
INA / Presses de l’Université Paris-Sorbonne
424 p., 28,00 €
couverture

1. Dans Vision in motion, Lázló Moholy-Nagy célébrait la création de « toute une littérature du disque et de la radio », appelée à un grand essor : c’était en 1947…

2. Dont elle peut, cependant, devenir le contenu.

3. Double relativisation, cependant, de cette dichotomie : 1° « du point de vue des effets, il s’agit dans tous les cas de mettre le poème en contact auditif (et parfois visuel) direct avec le public, ce qui implique au moins une poétique de la voix et des sons et, pour les performances scéniques, un art du geste et de la mise en scène » ; 2° « renouveler les formes du poème grâce aux nouveaux moyens techniques et toucher, par la scène, le disque, la radio ou d’autres media encore, un public élargi » : point spécifique aux « sonores », ce « double objectif » se manifeste alors, diversement, chez un Jean Lescure, un Blaise Cendrars ou un Michel Butor…