Philippe Beck : Contre un Boileau

 
par Daniel Lequette

Après Christian Prigent, et répondant à une commande philosophique d’Alain Badiou et Barbara Cassin, Philippe Beck publie une somme des textes théoriques (largement réécrits) qui ont accompagné son travail de créateur depuis deux décennies et propose un parcours à la fois très divers par les sujets abordés et très cohérent par sa direction : quel rapport entre la pensée et la langue est spécifique de l’écriture versifiée ? Se situant dans une perspective nettement phénoménologique, confrontant Boileau, saint Augustin, Spitzer, Ponge, Genette, il concentre sa réflexion sur des jeux de tension entre prose et vers, flux et suspension, dehors et dedans, dit et dire, formalisme et intellectualisme. Contre un Boileau, le « scolaire » pour qui ce qui se conçoit clairement s’exprime clairement, Beck défend l’idée que s’il y a de l’énigmatique en poésie, ce n’est pas par défaut de conception, mais par nécessité de manifester le « langage tendu en chacun » ; la poésie est expression de la limite non en tant que séparation, mais en tant qu’horizon : elle est « utopie réelle du poème », relance permanente d’une pensée en quête de forme et donc irréductible à tout formalisme et le vers libre en est la manifestation la plus accomplie. Ce Contre un Boileau, en même temps qu’une réplique au Pour un Malherbe de Ponge, est aussi un « Pour La Fontaine » dont le vers libre est à prendre au sens fort de vers libérant la pensée, « la force expérimentale et désarmée » du cœur (Kleist). Certains regretteront peut-être que dans sa critique de Boileau, Philippe Beck n’ait pas au moins retenu l’appel à la concision et retiendront surtout de l’ouvrage, substantiel et ardu, les abondantes citations passionnantes et leur dialogue stimulant. Les « BoustropHédonistes »1 aimeront sillonner la pensée laboureuse de Philippe Beck pour qui, dans cette époque ultraprosaïque, le rôle du poète « impersonnage », c’est-à-dire habité par « plein de peuple, de gens »2, « citoyen dans le multiple anonyme », est d’affirmer le primat du vers sur la prose (ordinaire) pour donner forme au chaos.




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Fayard
« Ouvertures »
478 p., 25,00 €
couverture

1. Licence de l’auteur de la notice reprenant le terme devenu central dans l’art poétique de Philippe Beck.

2. Propos de Philippe Beck au colloque de Cerisy consacré à son œuvre.