Venus Khoury-Ghata : Le Livre des Suppliques

 
par Christian Travaux

Des morts. Beaucoup de morts. C’est à la mort de son mari – son troisième homme – que Vénus Khoury-Ghata écrit Le Livre des Suppliques. Et, même, durant son agonie, auprès de lui. Ni thrène. Ni prière. Ni chant. Mais supplique réitérée pour qui s’est éteint, est passé, et qu’on n’a pas su retenir, pas su garder. Supplique pour dire à l’aimé (parti au début d’un été, et que l’on a accompagné toute seule au crématorium) qu’on l’a trop souvent délaissé pour écrire, que l’on regrette. Qu’on n’a pas su, qu’on aurait dû. Et qu’on est coupable de vivre, d’être encore, de demeurer, quand l’autre n’est plus qu’un peu d’ombres, un appel au fond d’un puits, un bruit de feuilles.
Khoury-Ghata parle pour les morts, tous ses morts, ses chats aussi, pour qu’ils aient encore, une fois, permis d’être, droit d’exister. Que tous aient encore une voix. Et pour être face à la mort moins démunie et moins fragile. Alors, elle écrit comme on sculpte un visage, ou comme on érige une stèle, un abri de feuilles. Elle fait provision de langage, mots, images ou souvenirs, et tente d’affronter notre vie, notre mort, notre sort à tous. Et elle ressuscite, en parlant, des saveurs, des sensations, des images d’un autre temps, qu’on n’aurait pas cru conservées, et qui passent encore en nous et qui nous hantent. Ainsi par l’écrit se sauve-t-elle. Et est-elle, tout juste après – dit-elle – l’écriture d’un poème, sans haleine, comme en apnée, comme si l’écriture lui était plongée d’encre, coulée dans l’ombre, descente, descente dans soi, puis remontée au point final, exténuée.
La seconde partie du livre porte sur la guerre au Liban. 20 poèmes, pour compléter ce mince recueil, environ. Mais aussi pour donner au livre une gravité ou un écho bien plus vaste, plus politique. Des morts, encore. D’autres morts. Des enfants morts, ou qui doivent apprendre à compter avec les noyés et les morts. Un franc-tireur dont l’office est de tuer, toujours. Et un enchaînement d’images, une foudre, une déflagration, que provoque la guerre ou la mort, et qui nous fait lire les textes de Vénus Khoury-Ghata comme un orage renouvelé.
Une pierre contre le ciel. Un chant de grâces.




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Mercure de France
152 p., 15,00 euros
couverture