Jacques Demarcq : Rimbaldiennes

 
par Jean-Pierre Bobillot

Plusieurs, à la seule vue du titre ou de l’index1, dirigeront leurs talons en arrière et non en avant, accusant l’auteur de rimbaldolâtrie : – c’est pour eux. Ni rimbaldomaniaque, ni même rimbaldologue estampillé, ni quoi que ce soit -logue ou -lâtre d’ailleurs, Demarcq est ce qu’on appelait naguère encore ou déjà jadis un connaisseur.
Une méticuleuse datation l’atteste : Rimbaldiennes est le fruit d’une longue gestation, mais surtout, d’une longue, assidue et connivente fréquentation de Rimbaud (l’œuvre et, à travers elle, son homme), au point qu’il peut y jacter le rimbô aussi couramment et convaincamment que n’importe quel autre ornithô ; et par là, jouïssamment, y aller de sa propre (ou même sale) langue à lui, le demarcqô. Tous les habiles croiraient bientôt s’être démarqués de cette manière. – Ce n’est pas cela !
D’où : ce savoureux feuilleté (ce fouillis, même, quelquefois) de labyrinthiques savoirs où le lecteur, jouïssamment lui aussi, se perd aux 1001 détours des sentiers qui bifurquent le plus, à travers des forêts de syllabes résonantes d’échos soudain étrangement familiers et autres bibelots point si abolis, ni inanes. C’est dans un « trou » (ce rimbaldisme résumant toute la cruauté du réel, et le dérisoire qui en résulte) que débute la randonnée initiatique : à l’origine du monde ou disons, de l’art, en compagnie des hommes2 mutiques de Lascaux, ces inventeurs de gestes qui ont nom Piero, Vincent, Pablo, mais aussi… Arthur le taiseux, qui « aimai[t] les peintures idiotes » – et « a dû passer par le Périgord », y laissant un pariétal « ithyphallique graffito pioupiesque » !
Ça ne veut pas rien dire. D’aiguillages syllabiques en sibyllines échappées, s’ébauche une singulière figure, jamais fixée et d’autant plus illuminante, reconnaissable et partageable, plus vraie que culture : « un Rimbaud de paroles », telle la figue de Ponge. « Comment […] et pourquoi » : Jacques tient le fin mot d’Arthur lui-même qui le lui livre in extremis (sinon in extenso) à l’issue d’esjouïssantes « Causeries3 »…




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Atelier de l’agneau
« Architextes »
128 p., 18,00 €
couverture

1. C’est la liste des écrits de Rimbaud donnant lieu, au fil des pages, à ce qu’Isidore baptisa « plagiat » : rapprochement ici légitime, tant Demarcq y «  serre de près la pensée de l’auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste  ». Même il le blâme de n’avoir su prendre la mesure de sa propre formule : « On ne part pas »… et d’avoir cru pouvoir partir. (Cela vise, aussi, les Rimbaud-au-Hararolâtres…)

2. On lit à l’incipit du volume : «  Ce sont hommes », où se reconnaît, malgré la proverbiale paresse de la nymphe transmetteuse, la célèbre phrase de Rabelais : « Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes. »

3. Dans ce chapitre-clé, il nous livre sa pénétrante intranscription de l’entretien inespéré qu’il a pu obtenir d’Arthur : c’est aussi simple qu’une fugue musicale. – Et, rêveur, je me demande comment réagencer ma bibliothèque pour que s’y côtoient Rimbaldiennes et Les trois Rimbaud de Dominique Noguez…