Mehmet Yashin : La Rencontre de Sapho et Rûmî

 
par Stéphane Baquey

Mehmet Yashin, dont une anthologie de poèmes et d’essais a paru en français1, est un poète de la rencontre. Chypriote turc né en 1958, son expérience est celle du conflit. Sa pratique, celle de la recherche d’une perspective culturelle qui dissolve à Chypre, en Turquie et en Grèce, en Méditerranée, les raisons du conflit – nationalismes antagonistes, opposition du monde musulman et de l’Occident2. Ici, il opère un rapprochement entre deux poésies du désir : entre Sapho de Lesbos, du VIe siècle av. J.-C., et Djalâl-ud-Dîn Rûmî de Konya, du XIIIe siècle. Des poésies qui voisinent géographiquement, mais que, culturellement, tout semble éloigner. L’une, transmise en fragments, a donné lieu aux récritures de l’Occident, l’autre, amplement conservée, est fondatrice pour un ordre soufi toujours vivant. Mehmet Yashin entremêle vers grecs et persans, traduits en turc et à nouveau en français pour ce livre. Il montre que les deux voix chantent de même la « rencontre perpétuelle » visant, en deçà de la différence des langues, une « cœur-langue » exempte de l’emprise identitaire des idiomes nationaux. Et il accompagne le chant de Sapho et Rûmî de son commentaire, de ses poèmes et de ses notes, dans un ouvrage qui relève tout à la fois de la poésie et de l’essai. L’essentiel du texte traduit a été publié dans un livre à Istanbul en 2009 : sa pertinence est turque, faisant entendre une mémoire qui n’est ni celle du nationalisme autoritaire ni celle de l’orthodoxie religieuse. Au-delà, de part et d’autre de l’Égée, elle trouve des relais proches de la référence lointaine, Cheikh Galip pour Rûmî, Odysseus Elytis pour Sapho. Enfin, l’ouverture du livre traduit, écrite à Marseille en 2011, réancre l’espace de la rencontre dans un port de Méditerranée occidentale – pour nous, lecteurs francophones, qui sommes concernés.




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Traduit du turc par Asli Aktug et Alain Mascarou
cipM / Spectres familiers
64 p., 14,00 €
couverture

1. Constantine n’attend plus personne, traduit du turc par Alain Mascarou, Bleu autour, 2008.

2. Il a rassemblé un intéressant volume : Step-mothertongue. From Nationalism to multiculturalism : Literatures of Cyprus, Greece and Turkey, Middlesex University Press, 2000.