Michel Houellebecq : Non réconcilié

                                   
                                   

1. L’expression, de Jacques Reda, désigne l’élision, suivant la langue parlée, du e à l’intérieur du vers. Ou d’une autre voyelle, Houellebecq poussant la provocation (« C’est la pointe avancée de l’être individuel ») jusqu’à écraser le hiatus d’un mot abstrait.

2. « Dans l’abrutissement qui me tient lieu de grâce ».

3. « La simple idée d’un fils, je crois, le révulsait, / Il ne supportait pas qu’un jour je le dépasse / Juste en restant vivant alors qu’il crèverait. »

4. « Ils ont fini leurs Martinis. / Hi hi. » ou « La nuit qui n’aura pas d’aurore ».

Par Christophe Stolowicki

Au parfum de solitude toute forme est poreuse. Alternant cynisme, lyrisme, un exilé plus intérieur que politique ou fiscal frappe à tour de reins les parois de verre, un baudelairien poète du vécu ne se paye pas de mots. En vers mâchés1, de préférence alexandrins mais toujours pairs, de naturel rythmique, d’archaïsme revendiqué (ravissements lamartiniens), de contemporanéité radicale (relents de hard rock), parfois libres – au plus écartelé de l’oxymore. À bout de bouts férocement rimés – « termites » avec « bite », « shorts » avec « aorte », « l’homme » avec « wagons Alsthom », « spécialistes » avec « existe » en fermeture existentielle – se diffusent une mélancolie enragée, du « demi-destin » comme du demi-deuil, la cabotine culture de l’abrutissement² d’un écorché de l’explicite, scientifique de formation. D’un déshydraté soiffard d’amour, par son père « traité comme un rat qu’on pourchasse »³, par sa mère n’en parlons pas. De poésie inimaginablement inégale, on tombe des nues. C’est mauvais4 : platement, résistiblement mauvais. Excellent. De tels contrastes relèvent de la pathologie. Ou d’une économie de l’écriture inversant les paramètres du roman et du poème – Alferi ou Veinstein avec un art consommé, Houellebecq dans un désordre pulsionnel.




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Anthologie personnelle 1991 – 2013
Préface d’Agathe Novak-Lechevalier
Gallimard
« Poésie »
224 p., 10,50 €

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