parIsabelle Baladine Howald
« Aujourd’hui tu me donnes envie de m’attacher
à un arbre… »
… écrit Jim Harrison dans un superbe petit livre, Lettres à Essenine (10/18), hommage au poète russe (né en 1895 et mort en 1925), donnant l’ampleur de sa propre démesure en réponse à celle d’Essenine, même amour de la terre, même pratique des excès, mais Essenine se suicide à 30 ans tandis que Jim écume toujours le Michigan et le Nouveau Mexique.
Nul autre qu’Essenine n’a sans doute été célébré en Russie, visage de Rimbaud russe, et vie de Villon, qui traversa le ciel comme une étoile filante, écrivant ses derniers vers avec son sang (quand même, ça impressionne !). La Russie a avec ses poètes un rapport très particulier. Nul ne les célèbre davantage (Maïakovski, Pasternak…), nul ne les brise davantage (Mandelstam, Tsvetaeva…). Tout le monde y lit de la poésie.
Volume bilingue très complet, (très beau travail de Christine Pighetti), seconde édition, toujours à La Différence, avec un cahier de photos à la fin, ce Journal d’un poète contient un mélange de poèmes courts et d’autres beaucoup plus longs, sans souci d’ordre chronologique ainsi que le souhaitait Essenine. Son amour de la nature y explose, son vocabulaire y est tour à tour très poétique (« Ô mon pays tendre et pensif ») ou familier (« On s’enquiquine avec toi, Serge Essenine »). Ses expériences, son caractère, quelque chose de si ancien dans cette âme russe (« Ô ma Russie ! Ma Russie de bois ! ») et de si moderne dans sa révolte et dans l’expression de celle-ci (« Ici ma poésie n’est plus bonne à personne ») habitent littéralement les poèmes qui passent à l’intérieur d’eux-mêmes constamment d’un ton à un autre. Déçu par la Révolution, après une vie mouvementée, il laisse une œuvre vive, explosive, très attachante. « Pour une information plus complète sur ma biographie, tout est dans mes vers ». C’est dit.