par Lorenzo Menoud
Nous sommes en janvier 1971. L’historienne de l’art Moira Roth et son mari s’entretiennent avec John Cage, cherchant avant tout, à travers leurs questions, à cerner la personnalité et la démarche esthétique de Marcel Duchamp1. Des nombreux sujets seulement abordés, comme c’est trop souvent le cas lors d’entretiens, je retiendrai celui qui m’intéresse le plus, et revient à quatre reprises au cours de cet échange, le formulant, avec Cage, dans les termes de Henry David Thoreau : « Oui et Non sont des mensonges. Une vraie réponse ne tend pas à établir quelque chose, mais plutôt à tout remettre à flot »2. On ne doit donc pas sortir de « l’indifférence » que Duchamp (se) souhaitait face à ses ready-made, ni choisir entre la liberté du Grand Verre et la prescription d’Étant donné, ou, plus généralement, entre la conjonction de l’art et de la vie, et leur séparation. Nous sommes en janvier 2015. Voir alors la littérature (poésie) – dans sa complexité factice, son ambiguïté constitutive, sans prétention à la vérité, bien qu’employant les mots dans leur sens habituel – « tout remettre à flot » et exprimer au mieux notre inscription multiple en tant qu’individu dans un monde pluriel3.
96 p., 6,20 €
1. C’est la première des trente-six conversations que Moira Roth mènera avec John Cage entre 1971 et 1973 pour sa thèse intitulée Marcel Duchamp et l’Amérique, 1913-1974.
2. La citation se trouve à la page 19. John Cage évoque également le « principe de complémentarité » du physicien Niels Bohr aux pages 63 et 72.
3. La littérature manifeste ainsi son essentielle « valeur interrogative » pour reprendre l’expression de Roland Barthes dans « La littérature, aujourd’hui », 1961, Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, p. 159.