par Christophe Mescolini
Prosimètre « polyphonique » radiodiffusé le 7 décembre 1955 par le Third Programme de la BBC, publié par André Deutsch à Londres l’année suivante, Night Toughts se divise en trois parties, articulées selon « un mouvement dialectique ». Dans « Veilleurs de Nuit », des voix anonymes s’élèvent qui parfois se répondent et interrogent, dans la nuit de Londres, la « nuit spirituelle » de l’époque. Puis les Songes entrent en scène, à l’occasion d’un « Carnaval Mégalométropolitain » (« Leur fumée couleur de fièvre tourbillonne et croise la lune ; / Dans leur course son contour se brouille et tremble ») ; la cité endormie y devient, à grands renforts de références mythologiques (Sphynge, Minotaure, Labyrinthe) et cinématographiques (Metropolis de Lang, mais aussi le film noir) archétype outré, « Mégalométropolis » stigmatisée comme « Metropolis of Commerce-cum-Cacophomonium » et « Pandemonium » miltonien où les tortures seraient sonores (turpiloquio du Chœur de la Publicité martelé en capitales, allocution du Grand Homme ou du Maître des Cérémonies, Carnaval sur la « Plazza Pluton »…). « Notre musique est âpre (Ours is harsh music) », confesse la voix d’un Masque et la partition composée par Humphrey Searle1 participe de ces dissonances, mêlant au Dies Irae Boys & Girls Come out to Play. Une dernière « note de trompette haute et perçante » marque la fin de cette séquence onirique et satirique. Enfin, « Rencontre avec le silence » échappe à la ville et revient à l’état de veille, à une conscience flottante en éveil, au sein d’« une campagne isolée ». « L’attention erre », analyse les fines « textures sonores (sound-patterns) » dont le silence est tissé (« martellement assourdi et velouté de la pulsation changeante du sang », « rumeur aiguë et filtrée » de la ville au loin, « refux » et « résurgence obstinée (…) de l’océan, depuis le lointain »). La pensée, moesta et errabunda, y est au final confiée à « quelque chose de vaste et de fondamental (something vastly fundamental) », « d’une tolérance et d’une compréhension sans limite (limitlessly tolerant and all-comprehending)», « prêt à partager avec nous sa pauvreté, à fermer et à apaiser nos yeux »2.
Traduit de l’anglais par Michèle Duclos
Postface de Roger Scott
Édition bilingue
Black Herald Press
160 p., 16,00 €
1. Searle (1915-1982) fut, brièvement, l’élève de Webern, à Vienne.
2. À noter la parution récente de David Gascoyne et la fonction prophétique, de Kathleen Raine, chez le même éditeur.