Fabienne Courtade : Papiers retrouvés

 
par Ludovic Degroote

Certains livres vous invitent à une lente immersion, même si leur écriture ne relève pas du flux, au contraire : ils s’écrivent comme par éclats, à la manière d’un verre brisé, ou d’un être qui donne l’impression de ne pouvoir se dire ou s’atteindre qu’à travers les débris de ce qui est vécu. Il n’y a pas à reconstituer de matière, lire ne fait pas fonction de tube de colle, le peu qui reste devient intense par ce qui lui manque. Le titre même de Papiers retrouvés évoque la perte – le verbe au premier vers – et s’articule à un « nous » devenu impossible puisque l’un des deux est mort, mais aussi à la trace, souvenirs épinglés, bouts de papiers, notes éparses1. Le poème croise quelques faits d’une amitié d’amour avec la mort, la remémoration de l’été et même du jour de ce « tu » disparu : immersion pour le lecteur disais-je, submersion pour l’auteur : la présence constante de l’eau s’achève ainsi « Je nage sous la surface ». Eau ou plutôt liquide, car le sang et la couleur rouge dominent : sang, cœur, vin, violence du monde, effets de la maladie, jusqu’au foulard qui « recouvre la boîte », la pudeur qui cherche à dire la force du lien en tait les circonstances, l’hôpital est suggéré par son immensité mais n’est pas nommé. Le nom même de l’ami n’est pas exprimé, mais sous-entendu, par la combinaison des dates qui correspondent au jour de sa mort ou par une note paratextuelle qui renvoie à un de ses livres. Si le poème sépare la chambre du reste du monde, la violence s’empare de l’une et de l’autre – de la mort en œuvre à celle probable liée aux sans-papiers par exemple et au « trottoir [qui] est rouge-sang ». La place du blanc dans le poème, la manière dont le vers peut se détacher, s’isoler et se rompre, flux empêché, à l’image de la vie empêchée qui continue, la maîtrise de cet aspect lapidaire qui caractérise l’écriture de Fabienne Courtade apporte à ce poème sa force et sa densité.




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Le phare du cousseix
16 p., 7,00 €
couverture

1. Papiers retrouvés / Papiers collés : la référence au livre de Perros est explicite dans le poème.