par Christophe Mescolini
Où, sur la carte de la poésie italienne du XXe siècle, situer Campana ? P.V. Mengaldo distinguait deux traditions, l’‘orphico-sapientielle’ (de Campana à Luzi et Zanzotto) et l’‘existentielle’, se partageant entre tendance hymnique et élégiaque. Les circonstances particulières de leur publication aussi bien que l’histoire de leur réception ont très vite constitué les Chants orphiques (1914) en mythe littéraire, mais il s’agit bien, dans l’histoire de la poésie européenne, d’une œuvre nodale. Le titre lie la grande tradition italienne (Canti de Leopardi) à la modernité, par un détour significativement archaïque, certains modernistes, tel Apollinaire, s’étant emparés de la figure de l’aède mythique pour désigner, par exemple, les peintres cubistes (« artistes orphiques »). Selon les sections, l’héritage symboliste ou les rythmes futuristes se font plus particulièrement sensibles. Campana, dédiant l’ouvrage à l’empereur d’Allemagne Guillaume II, cherche une patrie spirituelle. Sous-titré Die Tragödie des letzen Germanen in Italien, le livre se ferme sur un colophon dans lequel la réélaboration d’un vers de Whitman inscrit la mort du poète protagoniste comme assassinat (ou s’agirait-il d’Orphée déchiré par les ménades ?) : « They were all torn / and cover’d with / the boy’s blood ». La description la plus précise du prosimètre campanien est peut-être le fait de Vittorio Sereni : « Par syncopes de sens, phrases tronquées ou précaires couvrant des vides, par blocs entiers de versification même fruste ou de syntaxe lacérée, par suspens et reprises de motifs s’enroulant sur eux-mêmes en insistances obsessives au bord de l’indicible, écouter devenait voir ». On pourra écouter, pour voir, la lecture des Chants par Carmelo Bene1, et prendre connaissance de cette belle traduction quadrumane.
Édition bilingue
Points
« Poésie »
320 p., 11,20 €
1. Sur Youtube