par Pierre Parlant
Jamais peut-être plus que dans ce livre de Denis Roche – nous le (re)lisons un an après la disparition de son auteur –, le temps de la photographie ne se sera-t-il donné, exposé, avec autant de puissance. Si ce temps-là, cela a été remarqué plus d’une fois (Barthes, entre autres), a bel et bien affaire à ce qui a cessé d’être, il ne relève cependant pas d’un passé simple, mais en revanche d’un présent toujours déjà enfui déterminé par l’étrange (et tragique) logique d’un futur antérieur. De là procède sans doute la gravité de l’acte photographique que Denis Roche a su, avec autant de passion que d’inquiétude, reconnaître et décrire plus d’une fois. En relisant cet ensemble de textes, on se dit que toute photo est, en son ordre, monitrice. Denis Roche la pense comme « le collapse de l’espace-temps ». En effet, dit-il, « au regard de la mort, toute photo est un repérage, en même temps qu’un “acte préalable” (Scriabine) ».
Prendre au sérieux ce qu’est la photographie, exige cependant que nous nous défaisions d’un certain nombre de représentations paresseuses : « Il faudrait d’abord accepter l’idée que la photographie ne soit le décalque ou le substitut de rien, qu’elle soit son propre sujet et que ce sujet seul soit son étude, sa visée. » Une photographie qui serait enfin délivrée du lest mimétique, ne se réclamant de rien d’autre que de ce qu’elle est. Une photographie coïncidant avec sa propre cause et ses propres effets.
Pareille idée est évidemment salutaire pour se désengluer d’une certaine doxa. Reste qu’elle ne doit pas occulter le fait que chez Denis Roche, toute photographie est aussi, sinon seulement, toujours déjà soumise à une double contrainte nécessaire et simultanée : celle de l’instantanéité et celle de l’autobiographique. De sorte que si sujet de la photo il doit y avoir, quel qu’il soit, il ne saurait être disjoint de l’aventure subjective elle-même. On se demande alors, non sans émotion lorsqu’on (re)voit les images présentes ici : « Qui parle, en photographie, que veut dire cette icône laconique ? Qui nous amène en ces lieux, qui nous en prie de vive voix ? N’est-ce donc qu’on ne peut parler que d’un seul côté de l’appareil photographique, du côté où j’ai, moi, mon gros cube et mon chemin veineux ? Que voudrait dire le fait que l’on parle ensemble quand on se photographie au déclencheur à retardement ? »