Tal Nitzán : Deux fois le même nuage

 
par Sébastien Hoët

Dans son Avant-dire, Yvon Le Men rappelle avec pertinence où nous nous tenons dans la lecture de ce beau recueil – entre deux peuples, dans une langue vieille comme le monde, dans l’ici vécu comme incertitude, guerre, exil. Nous sommes donc en Israël. Cet exil n’est pas que géographique, il n’interroge pas seulement le territoire et ses limites toujours problématiques, mais exproprie plus profondément chacun de lui-même et de sa langue : « (…) Je sors la tête de l’eau et je sais que maintenant je devrais crier ‘au secours’ avant de couler à nouveau, mais j’ai oublié dans quel pays je me trouve et dans quelle langue je suis supposée crier » (p. 23). Quelle langue est-il alors parlé dans le poème pour celle qui est « née dépourvue de langue maternelle » (p. 22) ? On ne peut que penser à la fameuse phrase de Proust selon laquelle le grand écrivain donne l’impression d’écrire dans une langue étrangère, mais chez Tal Nitzán cette étrang(èr)eté, pour reprendre le mot de Levinas, ne se limite pas à la singularité d’une incise de langue, c’est-à-dire d’un style, elle signifie l’absence d’habitation généralisée – même la langue ne permet pas en l’occurrence de s’habiter soi-même, d’être qui l’on est. D’où la rêverie oublieuse qui plonge dans le paysage mouvant des nuages, paysage innocent et sans frontière, d’où le retour à l’enfance, d’où la peur pour l’enfant qui empêche la poétesse d’écrire le poème qu’elle lui dédie.




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Traduit par Alain Gorius (anglais), Denise Boucher et Marlena Braester (hébreu)
Gravures d’Albert Woda
Al Manar
« Poésie »
64 p., 16,00 €
couverture