Sylvie Fabre G. : Tombées des lèvres

 
par Jean-Luc Bayard

C’est d’abord le titre qu’on reçoit, on s’arrête à lui, on l’arrête aussi, pour le dénouer peut-être, le comprendre, en sa manière d’oxymore. Tombées des lèvres fait jouer, et peut-être échanger, ce qui tombe et ce qui lèvre, ce qui chute et ce qui parle, ce qui trouve naissance ici-bas, pieds sur le sol, parlant bas, cri léger, souffle, babil, balbutiement, mais déjà s’érigeant, se relevant d’un mot, d’une parole donnée.

L’enfance est un balbutiement qui soulève
la langue et la met dans la bouche

Tels sont les premiers vers, qui énoncent le soulèvement de la parole, le grand renversement qu’elle opère qui met l’enfant debout. Grandir ? C’est l’affaire des jambes et du corps qui s’allonge, mais des mots aussi, pour qu’ils viennent à se dire… Mais les mots, c’est d’abord les noms qui en régissent l’ordre, l’instant est décisif, le titre, d’ailleurs y joue son titre :

La nomination, son signal est interminable
et sa bonté résiste,
voyelles tombées des lèvres, quelques syllabes
comme l’invite à la vie ensemble,
quand nous remontons sa coulée
c’est du poème le nom des enfants
depuis si longtemps.

Il faut dire ici l’expérience du vocable, celle des noms donnés, Anna Livia, Tosca, dire la gravité de quelques lettres, et d’autres l’envol, dire aussi « les choses semées », et les yeux qui se lèvent, et ce qui se penche, ce qui s’élance, dire la main qui soulève, et du monde l’expérience, le paysage qui, partout ramène en puissance la montagne. Un chemin, un lac, et puis le ciel, des oiseaux qui passent. Et…

 Tosca l’intrépide remonte lentement du puits
de la langue avec son butin de gouttes sonores
et accomplit l’exploit : aujourd’hui les mots
jaillissent et chantent pareils aux fontaines

Alors que des nuées menacent, et tombent, et que montent des ombres, il est doux de retrouver, un instant, comme revenue de l’enfance, la force de la parole en son activité de source. Et vérifier, d’un éclat, brut, irrévocable, la verticalité du poème.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Poèmes
L’Escampette
96 p., 13,00 €
couverture