par Mathieu Nuss
Ce qu’il y a de conscrit dans chacune des pages de ce livre de Julien Bosc est une sorte d’électrocution de la mémoire. Le lecteur est d’emblée plongé au beau milieu de nulle part, et confronté à un grand brouillard. Une cécité converse ? Un bandeau sur les yeux délire ? Un coma parle ? D’où « elle » questionne « il » ? Et si « elle » questionne, c’est parce que « il » est encore doué de sens, parce qu’il perçoit et touche, « il » est apte à apporter des compléments de réponse. Passé et présent frisent mutuellement, dans l’abrupt serré de l’échange, de « elle » à « il » et vice et versa. On déchiffre progressivement la forte dose d’irréconciliable qui est à l’origine des errances du sujet qui remonte le temps, « figé dans jadis ».
Sans produire d’effets inutiles, mais éclairant un mode d’écriture, ici, qui convient à ce qui aura motivé ou même contraint, la voix de Julien Bosc se fait discrète et procède sèche, recueillie, par touches chaque fois un peu plus éclairantes. Au rythme haché des dialogues et des fragments de prose les ponctuant, le creusement obstiné de la mémoire scrute l’absence, bute sur le MUR : « Récit de ceux des siens exterminés ? / Le récit d’un mur, oui. ». Le mur – symbolique de tant de voix perdues simultanément dans le chaos et la dévastation des sens. Le mur, le vertigineux survivant – « tel l’arbre esseulé après l’incendie », le mur devant lequel on s’effondre en lisant des noms, leurs noms, ceux d’un sort commun.
56 p., 13,50 €