Raymond Carver : Poésie

 
par Michel Ménaché

Nouvelliste, essayiste et poète influent des années 1980, Raymond Carver, né en 1938, se marie à 18 ans avec une jeune fille de 16 ans et commence à écrire deux ans plus tard sous l’influence de l’écrivain John Gardner. À 20 ans, père de deux enfants, il mène une vie chaotique, enchaîne les emplois les plus divers tout en s’abandonnant à l’alcoolisme. Il rompra avec cette dépendance à l’alcool en 1977, grâce à sa nouvelle compagne, la romancière et poète Tess Gallagher. Il meurt d’un cancer du poumon en 1988. « Le Tchekhov1 américain est mort ! », titre le Sunday Times. Le tome 9 des Œuvres complètes rassemble trois recueils : Où l’eau s’unit avec l’eau, La vitesse foudroyante du passé et Jusqu’à la cascade. La poésie de Raymond Carver tient à la fois du journal et des fragments autobiographiques, en langue familière, parlée. Il consigne dans ses poèmes aussi bien son vécu, ses amours, les choses vues, que les souvenirs glanés au cours de ses nombreux voyages. S’il rend hommage à des poètes disparus comme Machado ou Artaud, il passe aisément du réalisme lyrique aux considérations triviales.
Dans Où l’eau s’unit avec l’eau, il dit sa passion pour les sources et les fleuves : « les gros cours d’eau sont aussi dans mon cœur / et les lieux où ils se jettent dans les fleuves […] Ces lieux où l’eau s’unit / avec l’eau. » Les registres de langue sont variés, de la langue littéraire à l’argot populaire. Il n’a pas de réticence à célébrer « le fric » pour « acheter des fringues […] Dîner au resto quand il en a envie…» Car il se souvient des périodes de vaches maigres, du taudis « avec des souris pour compagnie. »
Dans La vitesse foudroyante du passé, un traumatisme de jeunesse le hante. Du temps qu’il était employé à nettoyer la salle d’autopsie des déchets de cadavres, il retrouvait le soir le corps tiède et souple de sa femme. Elle tentait de l’encourager : « “Chéri ça va s’arranger / On troquera cette vie pour une autre” / […] La vie / était une meule qui broyait, qui affûtait. » Dans cette poésie de l’intime, fuyant les obstacles familiaux, son égocentrisme explose à tout moment. Il aspire à la jouissance immédiate : « j’ai choisi le vice quand / j’avais le choix. Ou alors / simplement la facilité toute bête. / Plutôt que la vertu. Ou la difficulté… »
Dans Jusqu’à la cascade, le poète narre des rencontres ou des moments plus ou moins anecdotiques de son existence. Refoulant toute émotion,  il évoque avec humour noir et cynisme froid le départ de sa première femme : « Ma femme a disparu emportant ses vêtements. / Elle a laissé deux bas nylon et / une brosse à cheveux tombée derrière le lit. […] Je jette les bas dans le sac-poubelle ; la brosse / je vais la garder et m’en servir. Il n’y a que le lit / dont la présence semble bizarre et injustifiable. » Le souvenir des parties de pêche tient une place de choix dans plusieurs poèmes. Enfin un long texte en prose évoque la découverte d’une bibliothèque de poésie, à l’occasion d’une livraison de médicaments chez un monsieur âgé, pour le compte du pharmacien qui l’employait alors. L’homme lui offrit la revue Poetry qu’il découvrit en sa présence avec un étonnement total. Cette revue marqua son entrée en poésie : « la chose même dont j’avais le plus grand besoin dans ma vie – appelons-la une boussole – me fut généreusement offerte en toute simplicité. » Hasard objectif annonciateur d’un destin de poète !
Raymond Carver : une rage de vivre, entre autodestruction et rédemption.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Œuvres complètes 9
Traduit de l’anglais (U.S.A) par Jacqueline Huet, Jean-Pierre Carasso et Emmanuel Moses
L’Olivier
420 p., 24,00 €
couverture

1. Les références aux personnages de Tchekhov sont récurrentes dans l’œuvre poétique de Carver.