par Olivier Quintyn
À l’origine de cette enquête, menée conjointement par un curateur, une chercheuse en analyse conversationnelle et un poète / artiste, un constructivisme social conséquent touchant, entre autres, les œuvres d’art. Les interactions que nous entretenons avec ces dernières ne se limitent pas, selon les auteurs, à un face à face physique avec des originaux, voire des reproductions, mais passe aussi par l’ensemble ouvert et imprévisible des conversations et des médiations orales par lesquelles les œuvres s’activent en tant qu’objets de discours et d’échange. En testant l’hypothèse d’un mode d’existence conversationnel de l’œuvre d’art, et en inventant des dispositifs pour le rendre sensible à travers le retraitement d’un matériau conversationnel produit et capté, il ne s’agit toutefois pas d’augmenter la substance ontologique de l’art par un décret métaphysique d’obédience réaliste, mais au contraire de la disperser pragmatiquement au ras des pratiques d’échanges les plus ordinaires. Comment donc créer de l’attention pour ces moments de conversation labile, informelle, où, à rebours de toute monumentalité, une œuvre se déploie comme sujet de conversation, ou, de façon plus goodmanienne, s’exemplifie dans le discours selon des voies référentielles multiples (récit à proprement parler, allusion, jugement etc.) ? Premier principe : la conversation qui exemplifie l’œuvre doit elle-même être exemplifiée pour que ses propriétés deviennent saillantes. Il faut donc des opérations de traduction et de notation déplaçant le matériau de départ : 12 conversations sur 12 œuvres d’art ont été enregistrées, puis retranscrites de façon extrêmement précise selon les protocoles de notation de l’analyse conversationnelle, ce qui permet de créer des comparabilités et d’isoler des phénomènes récurrents. Second principe : un principe assez fort de symétrie. Une conversation au sujet d’une œuvre constitue l’œuvre en régime conversationnel, et en ce sens, est l’œuvre tout court, au même titre que l’objet physique avec lequel nos habitudes l’identifient, ce qui ne va pas sans déplacer nos conventions et vocabulaires esthétiques, voire nos pensées de l’appréciation et de la conservation. D’où il s’ensuit, au terme de l’enquête, une conséquence majeure : la solubilité de la spécificité de l’art dans la conversation. En tant que sujets de conversation, les propriétés émergentes des œuvres d’art dans la discussion ressemblent à celles de n’importe quel autre sujet, sans la démarcation ni l’autonomie mythifiée qui sont encore souvent incrustées dans le fonctionnement de notre concept d’art.