par Alexis Pelletier
Comme dans Puisement et Jours encore après, l’image de la femme « pendue à un fil à linge bleu » (p. 11) ouvre le livre et saisit, évidemment, le langage avec une extrême gravité – au sens le plus fort de ce terme. Les 16 parties d’Ici même luttent contre l’image inaugurale par, notamment, une syntaxe qui incite à porter attention aux personnes grammaticales utilisées. Les poèmes se donnent parfois à lire dans une sorte de tour impersonnel renvoyant à une altérité lointaine et qui dit peut-être le plus grand désespoir – mais sans pathos1. D’autres fois, c’est le pronom indéfini « on » qui se manifeste. Il serait la manifestation du vivant confronté au quotidien2 ; mais il est presque systématiquement associé à un « nous » qui est la marque du travail de et dans l’écriture. Ce « nous » reste indécidable : à la fois référence autobiographique, euphémisme masquant le « je », et manière d’inclure le lecteur, il renvoie à celles et ceux qui sont confrontés à l’image de la femme disparue et il permet de partager, dans le temps de l’écriture, l’expérience à laquelle elle renvoie. L’ensemble se mélange dans une sorte de flux et peut donc se lire comme une élégie mais aussi comme un chant à l’ouvert.
160 p., 14,00 €
1. et même / parfois / l’envie de ne voir personne / et même / d’autres fois / l’envie de n’être personne // jamais / à la recherche d’une béquille / jamais au grand jamais / à se rechercher un repli, un abri / jamais ne saisissant un caillou / contre les malédictions (p. 78).
2. du bout des pieds / on cache les trous de notre sol / tandis que du bout des yeux / on vérifie que l’arbre ne manque de rien (p. 105).