par Antoine Emaz
René Lovy sculpte la pomme de terre comme d’autres artistes travaillent le marbre ou la terre glaise. Cela donne des « têtes-patates » qui, avec le temps, changent de couleur, se flétrissent, se rident ; des faces atterrées, tristes, hilares, un peu comme de petits masques de papier mâché, expressifs et grotesques. À chaque double page, un poème de Thomas Vinau est placé en vis-à-vis de la photo d’une sculpture. Il ne s’agit pas d’une « illustration » à proprement parler, mais plutôt d’une curieuse méditation double (sculpture / écriture) sur le vivant. Homme et patate, même combat, comme l’indique le titre du livre, ou cet extrait : « Nous sommes complices (…) Nos douleurs se font des clins d’œil. » Les poèmes très courts de Vinau, en vers libres, ne sont pas sans humour, mais ils virent souvent au sombre, surtout vers la fin du livre (p. 51, 53, 57, 62…). Cela rejoint bien l’ambivalence des sculptures de Lovy, à la fois souvent drôles mais pas tant que ça dans leur pourrissement : « C’est la langue / que nous parlons / même édentée / noire / puante / (…) Rire et souffrir // Vous comprenez ? » Ou bien : « C’est ma façon de mourir / qui me dessine ».