par Alain Paire
480 pages, de graves inquiétudes : Vincent Pélissier annonce en préliminaire que le CNL a décidé de supprimer l’aide allouée à sa revue. Dans cette livraison parfaitement convaincante, on trouve pourtant de quoi remplacer plusieurs livres ou plaquettes de la micro-édition : par exemple, les textes de Claude Mouchard et les traductions des poèmes d’Ivan Bounine par Christian Mouze occupent plus de 80 pages.
Claude Mouchard cite Claude Lefort, Mandelstam et Tsvetaeva, les praguois Holan et Hrabal, Sony Labou Tansi, De Signoribus, Platonov, Harms et Krzyzanowski. « À travers le pire du temps », une voix « habite l’histoire ». Mouchard débute son texte « dans la gueule béante et l’haleine sale du réel ». Il invoque « les compagnons de la pensée qui ne s’éteint pas », se souvient de Michel Strogoff : « seules des larmes protègeront tes yeux ».
Gilles Ortlieb décrit « des aires de battage abandonnées et la silhouette oblique, tremblée, du temple d’Episkopi »... « envahi par les chardons et la mauvaise herbe ». Bernard Noël s’interroge « et maintenant faute d’avoir changé la vie faut-il changer / la mort changer la nature du défunt et celle du finir ». À côté de Gunther Anders, Lionel Bourg, François Bordes, Henri Calet, Max de Carvalho, Jacques Damade, Jean Frémon, Denis Rigal, James Sacré et Jean-Luc Sarré, ma très forte préférence va vers un chapitre d’Henri-Alexis Baatsh extrait d’une future parution au Seuil dans la collection « Fiction & Cie » : La fin de la société carbonifère. L’ami de Jean-Christophe Bailly fait surgir le mitan du siècle dernier : dans des banlieues épouvantablement délabrées, voici « des personnes dépourvues de tout pouvoir sur le temps présent », « la différence absolue entre la couleur de la mer et la couleur de la ville ».