Jacques Monory : Écrits, entretien, récits

 
par Francis Cohen

L’esprit du film noir en bleu et quatre manières de voir les peintures de Jacques Monory

 

  1. Anecdote : la vérité en peinture.

Les banquiers sont des oiseaux aussi crédules que ceux qui vinrent se casser le bec sur la fresque de Zeuxis, chez Pline, Jean-Christophe Bailly relate, dans la préface, une anecdote : dans les années 1970, une banque demanda à Jacques Monory de réaliser une peinture pour le hall de son siège central. « Mais lorsque les envoyés de la banque vinrent voir la maquette qu’il projetait de faire, ils découvrirent effarés que Monory avait eu comme idée de peindre le hold-up de la banque ! Les choses, bien entendu, en restèrent là. » Les banquiers, comme les oiseaux de Zeuxis, n’ont pas vu une peinture, le réel était déjà là, plus réel que le réel. En regardant « effarés » la maquette, ils voyaient un film d’anticipation dans lequel ils avaient reconnu le gangster à « la panoplie du tueur. »

  1. Le film est tout entier dans le tableau pour conjurer la peur.

Monory prend des photographies d’un film et peint. Le tableau est l’image d’une image, le monde est un film, il s’est arrêté sur un tableau. L’angoisse revient. La peinture de Monory anticipe l’angoisse pour conjurer la peur, laissant le spectateur à son angoisse, il le délivre de sa peur face au pouvoir de la peinture, mais « la peinture » n’intéresse pas Monory. Dans l’entretien accordé à Jean-Luc Chalumeau, l’artiste précise que l’important « est à côté de la peinture. »

  1. Apaiser les banquiers et les autres…

Monory ne cesse de peindre le monde tel qu’il est. Pendant le hold-up, puisque le hold-up était bien réel l’un des « effarés » s’était identifié au héros de Diamondback : « Il fallait ne plus fuir sans direction – le retour était impossible – essayer de savoir où aller – il n’y avait rien – questions insolubles. Perdu comme quand il était enfant dans la rue du village morne – doucement il passa de l’angoisse de cette même situation à un étrange bonheur de liberté.1 » Il était sorti du tableau, il lisait maintenant le roman policier de Jacques Monory dans lequel « la mort lui semblait moins morte » que dans ses tableaux.

  1. La peinture dans le livre, le livre dans la peinture.

« … Tout avait commencé à Flagstaff Ar. au bar d’un motel. Il avait bu du vin de Californie, il essayait d’arranger cela avec une verveine-menthe, quand son regard croisa son regard.2 » L’utilisation du miroir avait introduit le personnage dans le tableau, le regard du banquier croisa son propre regard : la victime regardait le gangster. Ou était-ce le gangster qui regardait maintenant le banquier effaré ?




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couverture

1. Diamondback, p. 245

2. Rien ne bouge aussi vite au bord de la mort, p. 305