par Ludovic Degroote
On reconnaît d’emblée l’écriture d’Antoine Emaz : c’est le signe d’une poésie dont la singularité – ce qui ne veut pas dire originalité au sens où elle chercherait au moyen de procédés extérieurs à se construire par différenciation mais ce qui signifie qu’elle est intrinsèquement ce qu’elle est, sans autre choix que de se tenir dans sa voie – est forte. Ce volume, De peu, en est une preuve supplémentaire1. Sous ce titre sont réunies 17 publications de livres de poèmes couvrant les années 2001 à 2011 ; livres d’artistes et plaquettes alternent avec trois livres noyaux : Os (2004), De l’air (2006) et Jours (2009) ; une note bibliographique montre que la disposition de ces poèmes est chronologique. La lecture de la table, présentée sur deux pages, est frappante : la liste des poèmes, souvent accompagnés ou constitués de leur date, dresse une sorte d’éphéméride couvrant ces dix années : le temps, qu’il disparaisse ou qu’il soit donné dans un présent d’énonciation mince, est un thème essentiel dans la poésie émazienne. On y voit aussi les titres des publications reprises. Comme toujours chez Emaz, ces titres, réduits au plus court, expriment ou annoncent une écriture elle-même concentrée. Ils dessinent deux ensembles, l’un plus orienté vers des climats ou des paysages extérieurs (Vent, voix ; Pluie ; Rien, l’été, par exemple), l’autre vers des climats et des paysages intérieurs (Peur ou K.-O., par exemple), mais tous au fond croisent les deux (cf. De l’air ; Pas sûr ; Vague) parce que, à l’image du titre du volume, qui peut notamment exprimer la source du poème, le « mur » du réel ou la minceur de la langue émazienne, la plupart portent une ambivalence qui ouvre le poème à la multiplicité des lectures et au puzzle de la vie : attentats du 11 septembre ou conditions de travail, délabrement de la vieillesse ou mort d’un proche, vie quotidienne ou mémoire qui dit le temps intime qui rechigne à se dire, glycine et jardin : poésie qui dit le dehors mais ne le dit que par un dedans distancié, comme sorti de soi : c’est ce singulier qui la porte, qu’elle porte et qu’elle parvient à faire tenir de façon remarquable. Essentielle.
1. Ayant par ailleurs eu l’opportunité d’évoquer le travail d’écriture d’Antoine Emaz, je me limiterai ici à la présentation du volume. Voyez le solide dossier établi par Antonio Rodriguez dans le numéro 1031 (mars 2015) de la revue Europe ; contributions d’universitaires, de poètes et de plasticiens autour de l’œuvre d’Emaz.