Abdelwahab Meddeb : Portrait du poète en soufi

 
par Stéphane Baquey

La publication de l’œuvre littéraire d’Abdelwahab Meddeb, commencée avec Talismano, en 1979, s’est trouvée suspendue après la parution de Matière des oiseaux, en 2002. De livre en livre, la fréquentation de l’espace s’amplifiait, de la médina de Tunis à Paris, du monde musulman à la Méditerranée, à la Terre entière. Le tournoiement phrastique, avec ses élongations brisant l’unité propositionnelle, prédisposait à une libre disposition en vers1 enchaînant les instants perceptifs, vécus et notés en des stations en des lieux sacralisés ou non par une religion, dans l’indifférence aux dogmatismes. L’universalisation de l’errance et l’évolution formelle étaient en cours. Mais après le 11 septembre 2001, l’écrivain s’est senti appelé à une autre tâche, comme essayiste, à partir de La Maladie de l’islam (2002), puis comme animateur de radio, avec l’émission « Cultures d’islam ». Il fut un intellectuel grandi tout à la fois dans la filiation non oublieuse des cultures du monde musulman et dans la rupture et l’exil volontaire. Il avait pris le parti d’une critique radicale des conséquences funestes pour ces cultures d’une insuffisante appropriation à ses yeux de la pensée européenne. Cette position de critique de la culture et d’homme public l’a conduit à des choix difficiles, discutables, non sans tensions, dont la reconnaissance est assurément la condition, de tous côtés, d’une évolution hors des impasses de l’intolérance. Cela impliquait courage et conviction. Abdelwahab Meddeb est soudain décédé le 6 novembre 2014, alors que la Tunisie venait de se donner sa première assemblée élue dans le cadre du régime démocratique issu du processus révolutionnaire qui a débuté en 2011. Le dernier livre publié de son vivant est un livre de poèmes, Portrait du poète en soufi2. C’est un aboutissement. Depuis toujours, la voie de la mystique musulmane aura été pour lui celle de l’universalisation de sa culture et la poésie, le mode d’expression de la saisie des instants comme autant d’éclats d’une unité absente, ou prenant visage et corps d’une femme, Aya, qui est le signe même3.




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Belin
« L’Extrême Contemporain »
192 p., 19,00 €
couverture

1. Les premières proses de Meddeb (Talismano et Phantasia) ne relèvent du roman que par l’indétermination générique que couvre cette appellation. Tombeau d’Ibn Arabi et Aya dans les villes sont des proses qui ne sauraient plus être étiquetées « romans ». Les 99 stations de Yale et Matière des oiseaux sont en disposition de vers.

2. A paru depuis : Instants soufis, préface de Christian Jambet, chez Albin Michel.

3. Le mot désigne le verset coranique, le signe de Dieu. Ici, il nomme une femme réelle et imaginée, présente depuis Phantasia, descendante de la Nizâm d’Ibn ‘Arabi.