par Antoine Emaz
La peinture de Rustin surprend, déséquilibre, sans doute moins par sa technique que par le choix obsessionnel de son sujet : le monde asilaire et la prison intérieure de la folie ou du handicap mental. Dans ce livre, Michel Bourçon exprime l’impact de cette peinture dans une suite de notes en prose, qui accompagnent une quinzaine de reproductions de toiles. Il ne s’agit pas d’une étude sur Rustin mais bien de la rencontre d’un poète avec une œuvre qui désoriente en ce qu’elle nous renvoie comme en miroir notre part refoulée d’inhumain : « cette viande ignoble, c’est nous. » Rustin pose « la présence de visages et de corps, sans souci de dissimuler ou d’embellir la vérité » : la prose de Bourçon fait de même. S’il y a bien « choc », désorientation et malaise, comme le montre les nombreuses phrases interrogatives, il y a surtout un regard et une écriture qui font face à « ce peu de vie qui reste, quand tout l’a dévastée. » Sans plus d’élan lyrique que d’analyse façon historien d’art, Bourçon travaille l’effet de cette peinture dans laquelle « on ne peut entrer (…) sans la peur de ne pouvoir en sortir ». Et c’est Rustin qui amène le poète dans des parages beckettiens, la déréliction froide du Dépeupleur : « Ils sont là, au bord de rien, n’éprouvant plus le besoin de crier, car ils savent qu’ici, pour soi, il n’y a personne, qu’après leur chute interminable, d’autres viendront pour rien, car nul n’est à sauver. »
Ce qui retient, dans ce petit livre, c’est la juste distance trouvée par Bourçon pour écrire en marge d’une œuvre forte, qui risque de faire tomber le regardeur dans l’apitoiement stupide ou un voyeurisme complaisant et morbide. Rien de tel ici. Simplement amener le lecteur au point où les personnes figurées nous mènent : « ces regards, tournés vers nous, soldent leur compte et, devant nous, la vie vient au rapport. »