Sereine Berlottier : Au bord

 
par Déborah Heissler

Confirmant une vérité unique, un simple changement de distance, une modification de lumière, l’asymétrie d’un contour, une arête oblique, qui altèrent le monde que nous croyons le mieux connaître, le deuil dans Au bord ne s’impose pas d’emblée à celui qui lit. Revenir à la vie et au sujet tels qu’ils s’offrent dans la nudité troublante d’une présence-absence, ce n’est pas pour Sereine Berlottier s’arrêter à la contemplation d’un détail uniquement, espérer la possibilité d’une stabilisation, d’une installation au sein du deuil, de la déploration.

Curieusement les oiseaux survivent les
fleurs survivent les arbres ne sont
pas arrachés ni la toile d’araignée
dans l’angle du volet secoué
1

Le retour au réel cependant – parce qu’il y a chez Sereine Berlottier retour au réel –, il est possible de le voir comme à la fois un adieu à la tentation des effets esthétisants de la plasticité pure et comme le refus d’une sorte de dérive passionnelle, rêvée, et idéalisante. L’insistance du réel est partout, au sein de cette complexe et multiple dialectique – que par ailleurs nous pouvons tous et toutes vivre avec une incessante intensité –, qui oppose et synthétise à la fois le sentiment d’être et celui de néant, présence et absence, doute et désir, familiarité et étrangeté face à ce qui est notre inquiétude. La mort aussi comme une évaporation amoureuse des corps. Elle conjure ainsi métaphoriquement la peur de l’inconnu.

Revient
sans venir à bout d’une
phrase
qui dirait
l’épuisement
du rivage

mère-vague et tempétueuse2

L’être regardé devient ainsi site d’indécidabilité, d’indétermination. Aussi multiplier les lignes, les perspectives qu’est-ce d’autre alors que refuser la signification (et la certitude ?) à une seule ? L’impossibilité de celles-ci, pourtant, tout comme l’impossibilité face à la mort et à sa réalité, sans cesse plus estompée, est à chaque fois celles que Sereine Berlottier tente de saisir. L’écriture précisément, et peut-être bien paradoxalement, (noir contre blanc, /mort/ contre /vie/) devient alors ce geste d’auto-libération au cœur même de l’opacité de ce que nous sommes et figurons, qui également manifeste le plan de l’écriture comme «  torsion lyrique  », tournant vers ce qui se détourne, se dérobe.

Tu meurs et je te dis autre chose
mais quoi j’invente
ou bien c’est seulement avec l’autre face
de la même main pour s’atteindre
3




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Lanskine
« Poéfilm »
80 p., 12,00 €
couverture

1. Sereine Berlottier, Au bord, p. 17.

2. Id., p. 17.

3. Id., p. 40.