Pierre Joris : Canto Diurno

 
par Khalid Lyamlahy

Dans son avant-dire, le poète américain Charles Bernstein note que la poésie de Pierre Joris « renverse les hiérarchies, mais sans omettre de soigner, de tendre, de remuer, de labourer, de fermenter et de fomenter » (p. 6). Dans cette anthologie personnelle qui reprend une sélection de son œuvre depuis les années 1970, le lecteur ne peut que constater l’énergie débordante de l’écriture de Joris. Cette énergie se traduit d’abord dans la structure mobile, hétérogène et éclatée de ses poèmes, esquissant une « topographie » (p. 15) de la variation où se mêlent récits poétiques nourris de la culture populaire américaine (les Keystone Cops), hommages voilés aux poètes (Celan, Mallarmé, Duncan, Antara), dialogues croisés avec des philosophes autour de l’écriture et de la lecture (Derrida, Foucault), exercices d’appropriation créative de l’alphabet arabe (à partir de trois lettres) et réécriture fragmentée d’un désastre écologique (Deepwater Horizon). L’énergie de Joris se lit également dans sa langue voyageuse, enrichie – comme le relève le traducteur Jean Portante – d’un « nomadisme qui en chemin ramasse ce qui le nourrit » (p. 9). Avec Joris, l’objet du poème devient « le métier à tisser » et le poète « le souffle / qui tourne et re- / tisse / le fil » (p. 35). Morceaux de citations ou de définitions, fragments plurilingues, jeux de signifiés et de signifiants : la langue de Joris est une fête de mots qui peut s’avérer déconcertante. Ici, le cinéma devient « vérité & composition » (p. 21), une ville se trouve « enroulée / comme un escargot / autour d’une vanne » (p. 45), un paquet de cigarettes est un prétexte pour un voyage marin. Tantôt lyrique et turbulente, tantôt érudite et aphoristique, la poésie de Joris célèbre la traduction, appelle l’altérité, interroge le savoir occidental, libère le moi du poète : « je suis dé jeté / sur la prairie verte du monde » (p. 77). Les « collages bruts » (p. 138) de Joris étendent le domaine de la poésie et remobilisent la culture pour réécrire le désastre.




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Traduit de l’anglais sous la direction de Jean Portante
Le Castor Astral
« Les Passeurs d’Inuits »
160 p., 15,00 €
couverture