Giorgio Agamben : Polichinelle ou Divertissement pour les jeunes gens en quatre scènes

 
par Jean-Jacques Bretou

Pour beaucoup d’entre nous, nés en France, la figure de Polichinelle est imprécise. On le connaît à travers de mauvais jeux de mots ou sa silhouette floue nous parvient au-delà de l’épaisseur du temps sous la forme imprécise et bossue d’une marionnette, à moins que ce ne soit son nom qui résonne au détour des paroles d’une comptine. Généralement Polichinelle reste donc un personnage du théâtre de marionnettes comme guignol, un farceur ayant la particularité d’avoir deux bosses, celle du ventre et celle du dos. L’un des premiers intérêts de ce petit livre est donc de nous faire connaître mieux ce personnage issu de la commedia dell’arte grâce aux guides prestigieux que sont Giandomenico Tiepolo et Giorgio Agamben. Par ailleurs, il nous fait admirer, remercions au passage l’éditeur, les riches reproductions iconographiques de Tiepolo tirées des fresques provenant de la villa Zianigo de Venise ou les lavis et dessins à la plume réalisés par l’artiste. Pour mémoire, Polichinelle, dont le nom féminisé signifie « petit poussin » est né d’un œuf de dinde. C’est un personnage tout vêtu de blanc portant en guise de chapeau un cône tronqué et un masque de la commedia dell’arte ; selon la tradition il semblerait d’ailleurs qu’il n’y ait personne derrière ce masque, Polichinelle est tant qu’il porte son maschera, il n’y a pas de visage derrière : « Polichinelle, c’est moi. » Polichinelle sur scène lance des lazzis, pisse, défèque, ou mange des gnocchis ce qui lui donne cet important embonpoint. Il s’exprime dans une sorte de langue haute perchée comme un sifflement d’oiseau. Ce cri mystérieux est réalisé grâce à un petit appareil appelé la pivetta caché sous le palais des marionnettistes et qui aux dires de ces derniers est « le vrai secret du métier ». La publication de Polichinelle intervient après celle de la fameuse somme d’Agamben, Homo Sacer – L’intégrale 1997-2015, portant sur l’état d’exception, alors que l’auteur vient d’avoir 75 ans. Il écrit dans une apostille à propos de Polichinelle, en faisant référence au bios et au zoe (très largement commentés dans Homo Sacer) : « il se meut librement, avec sa gaucherie ardue, disciplinée, acrobatique, dans l’espace qui s’ouvre entre eux et au-delà d’eux. ». Ubi fracassorium, ibi fuggitorium : là où il y a une catastrophe, il y a une échappatoire.




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Traduction de l’italien par Martin Rueff
Macula
104 p., 18,00 €
couverture