Camille Loivier : La terre tourne plus vite

 
par Christian Travaux

D’emblée, cela se sent. Camille Loivier est sinologue, familière du monde asiatique, et traductrice du chinois. Cela se voit, dans certains titres de poèmes, dans certains lieux esquissés, visités jadis ou retraversés en pensée. Dans certains faits, comme la rencontre d’un vieux chinois, la vision d’un champ de théiers, ou l’évocation du bouddhisme, le non-désir, le chemin du détachement, l’accueil du monde.

C’est, dans La terre tourne plus vite, son dernier livre, que l’on découvre vraiment toute une attention au réel : un jardin entouré de lune, trois hirondelles sorties du nid, la buée laissée sur une vitre comme une brume sur le paysage, ou le grincement d’une poulie. Autant de choses vues, entendues, qui donnent champ à la réflexion, à la pensée, à la vision, au réveil de réminiscences ou à la « parlure » de soi. Autant d’occasions – rencontrant des hommes menottés dans un train, deux vieilles dames qui parlent dans son dos, ou des camions dans le brouillard – de dire, ou de tenter de dire, le réel dans son évidence, dans son absolue platitude évidente, son insignifiance. D’où un style, une langue, un poème, fait de vers courts juxtaposés, de mots pauvres, d’une grammaire simple, sans recherche ni volonté aucune de littérarité.

Une attente. Un accueil du jour. Une écoute apaisée du monde, qui s’impose alors au lecteur, puisqu’il faut lire avec lenteur ces poèmes, dans le silence, ces vers écrits avec silence, pour en percevoir l’intérêt. Une légèreté aussi de feuilles, de nuage, un tremblement, qui fait entendre en même temps, le dehors et l’intérieur, le monde et le dedans de soi, et soi-même montrant le monde. Car ce que cherche Camille Loivier, comme dans Enclose, déjà paru chez Tarabuste en 2011, dont c’est ici le deuxième tome, c’est de dire l’extérieur et l’intérieur, dire le dehors du monde que l’on croise, que l’on voit, que l’on a toujours sous les yeux (et qu’on ne sait pas toujours voir), et la trace qu’on en veut garder, du moins sa marque dans l’intérieur, son empreinte, sa photo sensible, son impression.

Aussi peut-elle dire Amsterdam, San Francisco, Ménilmontant, comme s’il s’agissait de dire soi, ou tout ce qui résonne en soi, ce qui nous touche quand nous existons ou quand nous passons dans le monde, en circulant dans le réel et l’éprouvant. Ainsi touchant au « nœud rythmique » de nos existences, de nos vies, à ce qui fonde l’être et l’émiette, et l’efface tout en l’affirmant. Une poésie urbaine, parfois, parfois presque élégiaque, pour noter ce qui disparaît, qu’on a aimé et qu’on voudrait faire resurgir ou faire revivre. Une suggestion épisodique sur une réincarnation qu’on souhaiterait en tourterelle ou en moineau. Et un continu décousu, qui dit tout l’éphémère de l’être, l’éphémère et le transitoire, et le fugace, et le fragile. L’épiphanique.

Et c’est pourquoi, dans ce recueil inégal, fait de poèmes pas toujours maîtrisés, ce qui nous touche le plus est-il là où le « je » sait s’effacer au profit de tous ceux qui souffrent, dans le monde des hôpitaux. On lit dans leurs yeux – dit Loivier – la peur, même s’ils ne peuvent plus pleurer, puisqu’ils ont – dit encore Loivier – trop pleuré et savent bien, déjà, tout ce qui les attend. Alors, il faut être léger, dans l’attente, le plus léger possible pour ne pas leur peser. Il faut être feuille de marronnier, ou nuage, bouquet de pivoines, pour être là, là, auprès d’eux, sans déranger et sans gêner, mais présent, tout de même, rassurant. Il faut apprendre à s’effacer pour dire une journée disparue, ou écouter un rossignol toute une nuit. Éprouver alors le sentiment d’être présent.

Et que la terre tourne plus vite, un court instant.




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Tarabuste
« Doute B.A.T. »
104 p., 12,00 €
couverture