Nimrod : J’aurais un royaume en bois flottés

 
par Matthieu Contou

« Ma route est sûre / entre l’inespérance / et la béatitude »1. En quelques mots, toute la sagesse, inquiète et typiquement exilique, de Nimrod, « écrivain, essayiste, poète d’origine tchadienne »2 qui publie aujourd’hui J’aurais un royaume en bois flottés, une anthologie personnelle, préfacée par son ami Bruno Doucey avec une émouvante générosité.

À lire et à relire ces poèmes – où la voix de Nimrod rappelle souvent celle des poètes qu’il aime, celle de Rimbaud au premier chef (« Ah, tambourin, claviers, dérive des mondes ! »3, « Heureux sur la terre enfin ivre »4, « L’air est salubre et des enfants chantent »5), mais aussi celle de Senghor (« Baisez-moi, Éthiopiennes, baisez-moi au pied du Mur ! Que je m’en aille avec ce goût de pain d’épices / Sur la langue, sur le cerveau, sur le cœur sur le visage […] »6) ou encore de Bonnefoy (« Car du feu qui rédime les sanglots / Les abeilles ne tirent aucun miel »7) –, une chose, certes commune, est, néanmoins, particulièrement frappante : l’éden infantile pourtant déjà clivé.

« Maison du père… En elle, aventurons la parole / Jusqu’à la douleur du poème »8 écrit en effet Nimrod. Puis : « Ô revenir revenir vers la maison de ma mère ! / Revenir comme on piège l’haleine du bonheur ! […] / Maison de ma mère, ciel de mon âme. Jette tes filets, père, jette tes filets : un banc de capitaines remonte le courant »9. Bien avant l’exil, à Koyom, « en plein cœur du pays de Kim »10, au sud du Tchad, « [l]’enfant qui aurait pu devenir pasteur protestant comme son père »11 est partagé entre deux contrées. L’une, paternelle, « intérieure, éthique, spirituelle, que flèchent les Écritures »12 ; l’autre, maternelle, « extérieure, géographique, organique »13 et sans nul doute plus silencieuse : « J’attends que me bénisse ma mère, mais il fait trop chaud pour que nous goûtions au miracle des paroles flottées »14.

D’où l’utopie à laquelle Nimrod – « fondateur d’un empire, et le “premier puissant sur la terre” »15 dans la Genèse – se prend à rêver : J’aurais un royaume en bois flottés. Un royaume en bois, comme la barque du « père limpide »16 qui lui disait « Jette là tes filets ! »17, mais flottés, comme les « paroles flottées »18 qu’il attendait de sa mère afin qu’elle le bénisse. Une anthologie, une vie de poète pour les réunir en un seul et même lieu. C’est fait et c’est magnifique.




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Anthologie personnelle 1989-2016
Préface de Bruno Doucey
Gallimard
« Poésie »
256 p., 7, 30 €
couverture

1. Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés. Anthologie personnelle 1989-2016, Gallimard, « Poésie », 2017, p. 75.

2. Bruno Doucey, « Les saisons fauves et brumeuses de Nimrod ou Comment trouver le nord sans perdre le sud », dans Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 7.

3. Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 123.

4. Ibid., p. 208.

5. Ibid., p. 219.

6. Ibid., p. 99.

7. Ibid., p. 49.

8. Ibid., p. 220.

9. Ibid., p. 232-233.

10. Bruno Doucey, « Les saisons fauves et brumeuses de Nimrod ou Comment trouver le nord sans perdre le sud », dans Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 8.

11. Ibid., p. 9.

12. Ibid.

13. Ibid.

14. Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 231.

15. Pierre Brunel, Babel, Babylone, dans Le Courrier International de la Francophilie, n° 29, Galati (Roumanie), 2013, cité par Bruno Doucey dans : « Les saisons fauves et brumeuses de Nimrod ou Comment trouver le nord sans perdre le sud », dans Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 20

16. Nimrod, J’aurais un royaume en bois flottés, p. 237.

17. Ibid.

18. Ibid., p. 231.