Antoine Emaz / Gérard Titus-Carmel : Poème au calme

 
par Ludovic Degroote

La collection rassemble un poète et un peintre dans un large format oblong (27 x 32 cm) et une maquette originale : les textes en regard des illustrations sont imprimés en palimpseste sur un feuillet remplié, grecqué et collé, dos inversé1. Antoine Emaz et Gérard Titus-Carmel se retrouvent à travers Poème au calme2 dont la dominante tourne autour du paysage ou du végétal. Paysages au pluriel serait mieux approprié, puisque l’évocation de lieux extérieurs (jardin, la mer, un étang, la campagne, par exemple) ne se dissocie pas d’un regard vers l’intérieur. En effet le poème s’ouvre par l’expérience d’être au monde, non d’y assister : ce mouvement de conscience est en même temps celui qui peut déclencher l’écriture : « Il faut regarder longtemps une branche qui bouge un peu pour pouvoir écrire : la branche bouge un peu. Et que cela suffise. » En interrogeant la manière dont il colle à la réalité, le poème croise les interventions de Titus-Carmel, collages de motifs qui tournent autour du végétal. Cependant, les approches de l’artiste varient – technique, geste, couleurs, notamment –, ce qui offre une cohérence forte au livre et renforce le plaisir d’en tourner les pages. Ces paysages sont en fait plus ambivalents que le titre semble l’exprimer : le désir d’accéder à un calme intérieur, miroir de ces espaces, ne supprime pas l’angoisse : on ne peut se défaire de soi pour rejoindre tel paysage, même lorsque c’est lui qui semble agir, ni réduire la distance qui nous en sépare – « le plus souvent cela demeure d’une part et nous vivons de l’autre ». Le souvenir (« dans l’air amolli remontent de vieilles questions éteintes ») semble également porteur de cette ambivalence, il peut à la fois être vecteur d’angoisse et la défaire. Il me semble que c’est dans ce hiatus qu’on peut entendre le poème d’Emaz, y compris lorsqu’il interroge l’écriture ; le mouvement d’écrire détourne le silence mais il cherche à en trouver la concentration, comme si le noyau du poète y était logé : « Silence aussi vaste qu’une parole souveraine. / Celui qui doit se taire est tout entier occupé en dedans à se réduire au silence. » Que puis-je d’un monde que je ne rejoindrais que par intermittences ? « Sagesse d’être ici, assez loin. Exister doucement, centré sans effort puisque je ne peux qu’être dans ce mince fil d’encre qui se poursuit. » Ce poème de proses courtes et de vers se clôt en interrogeant sa place dans « la vie continuée » : passant au passé, il rejoint « l’inerte », « comme une ombre portée / à peu près / au dos d’une vie ». Calme ou résignation, chacun l’entendra en fonction de son expérience de lecteur et peut-être de poète, et mesurera à quel point l’écriture permet de voir et d’accéder au monde en le plaçant dans la distance.




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Tarabuste
« Au revoir les enfants »
40 p., 30,00 €
couverture

1. Description de l’éditeur.

2. Ce poème avait paru une première fois en 1987 aux éditions Tarabuste.