Bernard Noël / Jean-Michel Marchetti : Quelques regards

 
par Matthieu Contou

Dans Quelques regards, leur seconde collaboration1 et la centième publication des éditions La Dragonne, Bernard Noël et Jean-Michel Marchetti proposent une série de trente-neuf diptyques. Sur la page de gauche, un texte de Bernard Noël ; sur la page de droite, une toile de Jean-Michel Marchetti. De là, le sous-titre faussement descriptif de l’ouvrage : 39 textes pour 39 peintures.

Des textes brefs et concentrés, presque aussi saillants que leur vis-à-vis sur le fond blanc cassé de la page ; de simples paragraphes qui paraissent d’abord la projection et comme l’impression pensante des surfaces mutiques qu’ils regardent.

En vérité, les divers arrêts d’un « passant » vivant à plein le « besoin de figurer l’instant de son passage »2 en un « territoire » dont il est pourtant parfaitement averti qu’il « se moque de [ses] considérations car il n’a pas besoin d’elles pour exister »3. Mais, voilà, « [q]uand les yeux ne savent pas ce qu’ils voient, ils commencent à regarder »4 ; ils « cherche[nt] partout des signes et ne voi[ent] pas que la forme est le visage, donc le sens, de ce dont elle est aussi le corps »5 : « [p]as moyen de s’en tenir à la contemplation tranquille de ce qui est là, simplement là, dans le pur plaisir d’exister… »6 

« D’où vient ce perpétuel besoin d’apercevoir dans ce que l’on voit une chose qui porte un nom ? »7 D’où vient que « la vision [soi]t ainsi liée à une obstination »8 ? Bernard Noël esquisse bien un certain nombre de réponses. C’est, dit-il notamment, que du défaut d’identité de la matière sensible, il s’ensuit souvent « une grande pagaille »9, « une panique dans les yeux »10 de celui qui ne sait plus alors « comment partager ce qu’il voit »11, « comment être soi et dans le même temps s’exprimer par l’Autre […] »12. Qu’importe, cependant ! Car ce besoin, Bernard Noël ne cherche pas ici à l’expliquer : tout au plus le constate-t-il, et s’il essaie toujours d’y satisfaire pour commencer, ce n’est qu’afin que « l’œil éprouve brusquement que sa jouissance est physique et qu’elle s’intensifie en se passant d’explication. Je suis fait – ose-t-il se dire – je suis naturellement fait pour la révélation »13. 39 textes, prodigieux, pour 39 peintures.




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39 textes pour 39 peintures
La Dragonne
« Collection Carrée »
78 p., 18,00 €
couverture

1. Après Le Vide après tout, en 2003, aux mêmes éditions La Dragonne.

2. Noël Bernard, Jean-Michel Marchetti, Quelques regards.

3. Ibid., p. 5.

4. Ibid., p. 1.

5. Ibid., p. 65.

6. Ibid., p. 23.

7. Ibid., p. 37.

8. Ibid., p. 1.

9. Ibid., p. 9.

10. Ibid., p. 19.

11. Ibid., p. 73.

12. Ibid., p. 73.

13. Ibid., p. 43.