Tareij Vesaas : Vie auprès du courant

 
par Mathilde Azzopardi

Seul livre de poèmes de Tareij Vesaas traduit en français, ultime ouvrage de l’auteur – mort en 1970, quelques mois avant sa publication –, Vie auprès du courant semble écrit depuis le bord, comme « à la frontière de la vie ». Ainsi, l’attention à l’environnement, à ce qui demeure inaccessible à la vue – pour exemple, les corps des petits rongeurs pris dans la neige, dans le très beau premier poème –, l’attention à la lumière, à l’inaudible, se fait-elle, dans ce crépuscule, d’une acuité toute particulière. La sensibilité de Vesaas se porte de prime abord sur le concret et c’est à partir du minéral, du végétal ou encore de l’animal qu’il déploie son imaginaire onirique.
Au regard, aimanté par le paysage, sa mutation au fil des saisons, et l’effervescence qui s’y dissimule, s’imposent par intermittence, ou se superposent, d’autres images : réminiscences – « le coin de soleil » de l’enfance –, souvenirs intimes – « le bras serein de [l]a mère », le père au seuil de sa mort –, ou partagés – le poème « Napalm », notamment, rappelant de sombres épisodes de l’histoire du XXe siècle.
Vesaas exprime clairement son pessimisme vis-à-vis de la nature humaine – « Les voitures et les cheminées / ont rendu l’air toxique. » « Le bavardage a exténué / tous les mots valables. » Quant à la nature à proprement parler, elle paraît autant source d’apaisement que de menace – il n’est que de lire le poème « Un léger trouble », évoquant un enfant perdu dans l’immensité d’un pré. Dans ce « taciturne / royaume d’ombres », se manifestent cependant, par des symboles de la force vitale, de fascinants instants d’éclat : la fleur piétinée qui toujours se redresse, ou bien l’idée qui, comme une graine, « peut fendre le globe ».
La mort est omniprésente car elle fait partie intégrante de la vie. L’homme, dans sa fragilité, son inachèvement, l’énigme qu’il représente, n’est pas différent de l’oiseau, de la pierre. Depuis son pays de neige, Vesaas se pose en témoin de la joie qu’apporte l’éphémère en ce monde.




Share on FacebookTweet about this on TwitterPin on PinterestShare on TumblrEmail this to someone
Traduit du nynorsk par Céline Romand-Monnier
Édition bilingue
La Barque
128 p., 22,00 €
couverture